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Tétralogie de mémoires tome 2 sur 4
EAN : 9782070366194
447 pages
Gallimard (25/07/1975)
4.25/5   317 notes
Résumé :
- Comment, vous ne savez pas ? Asseyez-vous... Ce n'était pas encore l'heure du thé. Nous étions seuls dans la boutique. Et tout en me faisant goûter des bouchées au chocolat, grignoter des petits fours et déguster un verre de xérès, la nouvelle confiseuse, qui était veuve de guerre, me raconta avec beaucoup, beaucoup de détails qui avaient tous trait à sa propre situation, comment Claire s'était pendue dans son fournil le jour où un message officiel d'Angleterre lu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (34) Voir plus Ajouter une critique
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Paru en 1946, « La main coupée » appartient aux « Mémoires » de Cendrars, qui comprennent également « L'homme foudroyé », « Bourlinguer » ainsi que « Le lotissement du ciel », et reviennent sur les mille vies de l'auteur suisse.

Grand bonimenteur devant l'éternel, Blaise Cendrars n'est jamais à court d'une histoire fantasmée ou vécue, d'une histoire qui sort de l'ordinaire, et nous révèle l'incroyable faconde de l'auteur. Auto-fiction ? Auto-biographie ? Difficile de classer « La main coupée » qui revient sur l'engagement volontaire dans la légion étrangère, d'un poète suisse qui n'aimait pas les boches. « La main coupée » est assurément un hommage sincère et touchant aux compagnons d'armes de Cendrars, qui ont pour la plupart péri au front. Un front, où l'auteur perdit sa main droite, sa main d'écrivain et dût être amputé au-dessus du coude en 1915. Une amputation qui donne son titre à ce roman inclassable, un roman sur la guerre des tranchées, un roman autobiographique, un roman sur l'amitié et le courage.

Une « main coupée » à laquelle Cendrars consacra un poème dans « Feuilles de route » paru en 1924.

« Orion 

C'est mon étoile
Elle a la forme d'une main
C'est ma main montée au ciel
Durant toute la guerre je voyais Orion par un créneau
Quand les Zeppelins venaient bombarder Paris ils venaient toujours d'Orion
Aujourd'hui je l'ai au-dessus de ma tête
Le grand mât perce la paume de cette main qui doit souffrir

Comme ma main coupée me fait souffrir percée qu'elle est par un dard continuel »

---

Blaise Cendrars vient d'être père et de se marier, il a vingt-sept ans, lorsqu'il décide, lui qui est né en Suisse sous le nom de Frédéric Sauser en 1887, qui a déjà eu mille vies, qui a déjà voyagé en Russie et à New York, erré de longues nuits avec les poètes d'avant-garde du début du siècle, et publié lui-même, de s'engager dans la légion étrangère pour aller combattre les boches.

Dès le début de la guerre, le 1ère classe Cendrars se fait remarquer par son audace et insubordination. Il est nommé caporal et prend la tête d'une petite escouade, qui le considère comme un chef charismatique. Pour avoir photographié un christ dont la tête était tombée, le soldat Cendrars est condamné à 30 jours de prison, alors qu'il vient à peine de rejoindre le front.

Protégé par un capitaine qui l'a à la bonne, Cendrars jouit d'une certaine liberté, se moque des honneurs comme d'une guigne, a les gradés en horreur, mais n'a de cesse de harceler les Allemands tout proches, en compagnie de son escouade, dans ce nord de la France qui évoque déjà un paysage lunaire après quelques mois de guerre.

En dédiant la plupart de ses chapitres à ses compagnons d'armes, l'auteur rend hommage à ces hommes qui se sont battus à ses côtés, ces hommes que rien ne forçait à rejoindre cette guerre, ces hommes qui n'étaient pas français, mais qui ont décidé de se battre pour la France. En nous contant les destins peu communs de ceux que le destin a réunis au fond d'une tranchée sous une nuit glaciale de l'hiver 1914-1915, Blaise Cendrars dessine à sa façon ce tableau à la Jérôme Bosch que fut la première guerre.

Truffé d'anecdotes truculentes, de permissions débridées, « La main coupée » nous conte le conflit de 1914-18 avec une honnêteté, une décence et une vérité rares. Honnêteté, car c'est un poète suisse engagé qui nous conte une sale guerre. Décence, car l'auteur ne met jamais en avant son esprit d'aventure, son courage dissimulés derrière le masque de la dérision. Vérité, car la première guerre est nous est narrée à hauteur d'homme, d'un homme qui a décidé d'être là, les pieds dans la boue la plus infecte, parmi ses soldats, en dépit du jugement peu amène qu'il porte sur ses supérieurs.

---

J'ai découvert Blaise Cendrars à vingt ans. Ce fut un choc, dans la mesure où je réalisais qu'il existait un auteur français qui pouvait rejoindre le Panthéon de mes auteurs américains. Un auteur à poigne, un aventurier, un Hemingway français, un soldat, un poète, un type épatant ! Un style, une gouaille, un vent de liberté ! Cendrars ignore la peur et prend la vie à la rigolade. Cendrars se fout des médailles, des honneurs, Cendrars se fout de tout. Ouais, c'est ça que je trouvais tellement classe, le mec se fout de tout, il voyage, il mord dans la vie, il est libre.

« J'étais heureux comme un roi, riche comme un milliardaire, libre comme un homme. »

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Incroyable Cendrars! Dans une langue colorée et riche comme la vie, il nous conte les anecdotes terribles des tranchées, où la survie tenait à une seconde ou quelques centimètres, où les personnages les plus obscurs prenaient dans la boue, les excréments, la peur, la faim, les parasites, les rêveries amoureuses ou sexuelles, la stature de héros de l'Antiquité, poursuivis par la malchance ou fauchés par un destin absurde, atomisés par le seul obus du secteur ou ensevelis vivants dans un entonnoir .
Une suite de portraits cocasses à la fois réalistes et expressionnistes, une description, hallucinante ,d'un monde dantesque, ou, implacable, de l'imbécillité de l'état-major. Des hommes à qui l'ont fait faire une marche de soixante quinze kilomètres à pied jusqu'à la première ligne du front, non sans leur avoir fait vider, en octobre, le "matériel non réglementaire", c'est à dire les lainages chaussettes et tricots fabriqués à la main par des milliers de femmes dans un élan de solidarité, et qui les regardent brûler sous les quolibets des sous officiers… le train qui siffle, tractant ses wagons vides, et roulant au pas sur la voie ferrée parallèle à la cohorte le long de ce voyage au bout de la nuit.
Avec tout cela, et par la magie de l'écriture de Cendrars, on croit encore en l'humanité, mais plus du tout, s'il en était besoin, en l'idéal qui fait marcher les hommes au pas. Dans ce livre, Cendrars narre aussi métonymiquement la perte de son bras droit et de sa main d'écrivain. A partir de ce tribut payé à la guerre, un autre pan de sa vie et de sa création va s'ouvrir.
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À l'aise, Blaise, tu l'es, avec la goguenardise poétique de ta gauchère plume.

C'est le souffle coupé que je referme ce livre, qui figure parmi les plus grandes oeuvres que le genre humain ait pu produire. Cette oeuvre est méconnue au regard de son génie.

Gauchère, ta plume, mais tout sauf gauche.

Gauchère, car ta main d'écrivain, tu l'as perdue à la Grande Guerre, toi, l'engagé alors que tu n'y étais pas obligé, le Suisse d'origine. Dès le début de la Guerre, tu as lancé, avec l'écrivain italien Ricciotto Canudo, un Appel aux artistes étrangers vivant en France, et tu t'es engagé pour la durée de la guerre dans l'infanterie. Après un baptême du feu dans la Somme où tu t'es illustré par ta bravoure, tu es rapidement promu légionnaire de première classe, puis caporal.

Ta main droite, tu l'as perdue le 28 septembre 1915, durant la grande offensive de Champagne. Gravement blessé au bras droit par une rafale de mitrailleuse et amputé au-dessus du coude, tu es cité à l'ordre de l'armée, décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre avec deux palmes, avant d'être réformé. Tu passes alors une année terrible, dévasté par toutes les pertes auxquelles tu dois survivre. Et il te faut réapprendre à écrire.

Ce qui me frappe le plus chez toi, c'est que ton oeuvre colle à ta vie et à tes actes. Les valeurs que tu défends dans ce texte, le courage, la camaraderie, le mépris des « planqués », l'authenticité brute innervent comme autant de veines ce livre magistral : c'est le sang de ton bras amputé qui coule ici. C'est son absence. C'est le Lys rouge.

Et tu racontes, l'air de rien, ton année au front, tes descentes nocturnes en première ligne, tes promenades en « bachot » qui apparaissent comme des sorties champêtres du dimanche, des « robinsonnades », en somme. Quel héroïsme !

Ta langue charnelle, familière, parfois obscène n'occulte pas l'abjection, l'horreur, la « pagaïe », la « merde » de cette Guerre dans laquelle tu ne vois aucun sens. Mais elle côtoie la plus pure poésie en prose que j'ai peut-être eu l'occasion de lire, l'humour le plus bravache et l'humilité la plus absolue.

Le texte est d'une beauté absolument spectaculaire et nombreuses sont les fois où j'ai frissonné corps et âme en te lisant, touchée par la beauté de l'évocation poétique et/ou la dureté des situations vécues par ces Poilus auxquels tu rends ce magnifique hommage.

Car oui, cette oeuvre est avant tout un tombeau poétique.

Il peut être ardu de suivre les méandres de ces tranchées, et tu parcours ta vie de la même manière : les époques se superposent, comme les visages, les noms, dans un labyrinthe, qui, à l'instar des boyaux dans lesquels vous vous enfoncez désespérément, toi et tes hommes, tout en espérant vous en sortir, perdent le lecteur et le malmènent.

Mais on avance, pas à pas, derrière toi, mon caporal, et on déterre en ta compagnie les survivants, et on compte les morts, auxquels tu tentes sans illusion de redonner vie, comme doit le faire un Phoenix.

Respect. Au grand écrivain et au grand homme.
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Blaise Cendrars et son écriture si pleinement descriptive, au plus près des hommes, de la boue, du malheur, de la guerre. Rien pour faire joli. Seulement la force de l'absurdité meurtrière et celle, dérisoire en comparaison mais qui pourtant rend la lecture supportable, de la solidarité, de la camaraderie, des liens entre ceux qui sont jetés dans ce non-sens furieux.

Alors qu'il n'avait pas la nationalité française, Blaise Cendrars s'est engagé à la déclaration de guerre, après avoir signé et diffusé un manifeste appelant les étrangers à rejoindre les rangs de l'armée.
Ils ont été nombreux à suivre cet appel, et au bout de quelques mois, ont été intégrés dans la Légion étrangère. Cendrars, avec le grade de caporal, était donc entouré d'hommes venus d'un peu partout. S'il ne le dit pas expressément, il semble évident qu'il était très soucieux des membres de son « escouade » et que ceux-ci lui vouaient un réel attachement.
Moyennant quoi il a partagé avec eux des heures, d'horreur souvent, mais aussi d'une immense camaraderie, d'une fraternité indéfectible née des circonstances.

Le récit s'arrête en juillet 1915, avec l'annonce d'une permission. Deux mois avant la blessure qui lui coûtera son bras droit et dont nous ne saurons donc à peu près rien dans cet ouvrage.

Le livre alterne le portrait des hommes avec lesquels il a vécu au front et les souvenirs qu'il partage avec eux. Cendrars sait à merveille décrire ses camarades, saisissant aussi bien les traits de caractère que l'allure générale et les expressions des visages. La complicité gouailleuse qu'il ressent pour chacun de ceux de son « escouade » laisse la place à une ironie ravageuse quand il évoque certains gradés, adjudants, colonels, généraux, dont il ne cache pas le mépris qu'ils lui inspirent.

Cendrars qui fréquentait avant-guerre les milieux intellectuels d'avant-garde, vit le front de plain-pied avec les hommes qui l'entourent. Lucide, presque extra-lucide, sur leurs caractères et leurs faiblesses, regardant et acceptant pourtant chacun de ces légionnaires comme un frère en humanité dans ce maelstrom d'enfer qui leur est infligé. Mario Rigoni Stern écrit quelque chose de semblable sur une autre guerre, trente ans plus tard, dans « le sergent dans la neige ».

Cendrars ne se paye pas de grands mots pour exprimer cette fraternité née de la vie en guerre. Descriptions au plus près de la réalité tangible, charnelle, dans un style d'une verve gouailleuse, parfois argotique, parfois violente, toujours précise et colorée, reflétant à la fois l'esprit populaire et carabin de la troupe, et les évènements, pittoresques ou trop souvent tragiques, qu'elle affronte.

Cette richesse d'écriture, ce regard à la fois plein de compréhension et de dérision, me rappellent ceux de Malaquais et de sa « Planète sans visa ». Deux livres écrits à la même époque, sur deux guerres différentes. L'homme y est toujours le même. Mais deux auteurs qui ont un talent fou pour le dire.

De « L'homme foudroyé » je suis arrivée sur le conseil d‘Isidore, à cette « Main coupée ». Isidore, si tu as d'autres catastrophes aussi révélatrices à me suggérer, je prends !
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Il détestait la guerre. Et pourtant il s'est engagé pour la faire. Blaise Cendrars aurait-il été pétri de contradiction ? Non, clame-t-il lorsque la question lui est posée par un contradicteur venu enquêter sur ses agissements. Et d'argumenter que plus que la guerre, ce sont "les Boches" qu'il déteste. Natif d'un pays neutre, il est venu les freiner dans leur entreprise meurtrière. C'est pour cela qu'il s'était engagé et avait même incité d'autres étrangers à venir au secours de la France envahie.

Dans son grand pied de nez à l'intelligence humaine, la "grande saloperie" qu'est la guerre, comme la qualifie Blaise Cendrars, nous a privé de Charles Péguy dès les premiers jours du premier conflit mondial, de Guillaume Apollinaire, quelques heures avant que ne sonne l'armistice. Mais évoquer ceux-là, que la célébrité aura auréolés, plutôt que tant d'autres restés anonymes est une injustice. Blaise Cendrars qui a partagé le quotidien des humbles s'attache à raviver leur souvenir. Il le fait sans apitoiement, avec sa gouaille de baroudeur qui ne laisse personne à sa place dire ce qu'il a sur le coeur. Son interlocuteur fût-il général; au risque de passer pour une tête brûlée.

Blaise Cendrars a servi la France dans les rangs de la Légion étrangère. Son récit n'aura pas le même ton que ceux de Roland Dorgelès dans Les croix de bois, d'Henri Barbusse dans le feu. Il sera moins pathétique, plus bravache, plus anecdotique. Mais point n'est besoin de trame pour relater les hauts faits d'une folie collective. le légionnaire fait les quatre cents coups, nargue le boche comme le gradé. le légionnaire va chercher sa croix de guerre. le légionnaire évoque ceux qui ont partagé avec lui les dangers les plus terribles et n'en sont pas revenus, le corps dispersé dans le cloaque. le légionnaire passe ses permes à Paname dans les bras de ces dames qui glorifieront le poilu en lui prêtant, le temps d'une embrassade, cette richesse qui fait obsession. de celle qui leur manque dans les ténèbres de la déraison. Mais le légionnaire, comme les autres, tombe sous les balles des boches. Et puis après tout …

"Qui sait si l'inconnu qui dort sous l'arche immense
Mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé
N'est pas cet inconnu devenu fils de France
Non par le sang reçu mais par le sang versé" (*)

Dans la "grande saloperie" qu'est cette guerre, l'homme n'est plus homme. Il est devenu une unité de compte que les états-majors additionnent dans les tranchées, soustraient dans les assauts, multiplient dans les cimetières, divisent à grands coups de scie dans les hôpitaux de campagne. Mille de perdus dans une offensive hasardeuse, mille qu'il faudra remplacer pour reprendre la crête aux boches. Ne pleurez mesdames, vos maris, vos fils retirés à votre affection. Heureux les héros de la Nation, ils pèseront leur poids dans la grande comptabilité du souvenir français.

"Mais le cri le plus affreux que l'on puisse entendre et qui n'a pas besoin d'une machine pour vous percer le coeur, c'est l'appel tout nu d'un petit enfant au berceau : "Maman ! Maman !..." que poussent les hommes blessés à mort qui tombent et que l'on abandonne entre les lignes après une attaque qui a échoué et que l'on reflue en désordre : "Maman ! Maman !..."

(*) Quatrain tiré du poème "Le volontaire étranger" Pascal Bonetti - 1920.

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"MAMAN ! MAMAN !..."

Le cri le plus affreux que l'on puisse entendre et qui n'a pas besoin de s'armer d'une machine pour vous percer le coeur, c'est l'appel tout nu d'un petit enfant au berceau : "- Maman ! maman !..." que poussent les hommes blessés à mort qui tombent et que l'on abandonne entre les lignes après une attaque et que l'on reflue en désordre." "- Maman ! maman !..." crient-ils... Et cela dure des nuits et des nuits [...] Et cela va s'atténuant car chaque nuit ils sont moins nombreux...et cela va s'affaiblissant car chaque nuit leurs forces diminuent, les blessés se vident...
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Pour mes fils
Odilon et Rémy
Quand ils rentreront
De captivité et de guerre
Et
Pour leurs fils
Quand ces petits auront vingt ans
Hélas !...

Blaise
MCMXLIV

P.-S. - Hélas !... Le 26 novembre 1945, un câble de Meknès (Maroc) m’apprend que Rémy s’est tué dans un accident d’avion. Mon pauvre Rémy, il était si heureux de survoler l’Atlas tous les matins, il était si heureux de vivre depuis son retour de captivité en Bochie. C’est trop triste... Mais un des privilèges de ce dangereux métier de pilote de chasse est de pouvoir se tuer en plein vol et de mourir jeune. Mon fils repose, au milieu de ses camarades tombés comme lui, dans ce petit carré de sable du cimetière de Meknès réservé aux aviateurs et déjà surpeuplé, chacun plié dans son parachute, comme des momies ou des larves qui attendent chez les infidèles, pauvres gosses, le soleil de la résurrection.
B.C.

(Première page de la dédicace)
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Je m’empresse de dire que la guerre ça n’est pas beau et que, surtout ce qu’on en voit quand on y est mêlé comme exécutant, un homme perdu dans le rang, un matricule parmi des millions d’autres, est par trop bête et ne semble obéir à aucun plan d’ensemble mais au hasard. A la formule marche ou crève on peut ajouter cet autre axiome : va comme je te pousse ! Et c’est bien ça, on va, on pousse, on tombe, on crève, on se relève, on marche et on recommence. De tous les tableaux des batailles auxquelles j’ai assisté je n’ai rapporté qu’une image de pagaïe. Je me demande où les types vont chercher ça quand ils racontent qu’ils ont vécu des heures historiques ou sublimes. Sur place et dans le feu de l’action on ne s’en rend pas compte. On n’a pas de recul pour juger et pas le temps de se faire une opinion. L’heure presse. C’est à la minute. Va comme je te pousse. Où est l’art militaire là-dedans ? Peut-être qu'à un échelon supérieur, à l’échelon suprême, quand tout se résume à des courbes et à des chiffres, à des directives générales, à la rédaction d’ordres méticuleusement ambigus dans leur précision, pouvant servir de canevas au délire de l’interprétation, peut-être qu’on a alors l’impression de se livrer à un art. Mais j’en doute. La fortune des armes est jeu de hasard. Et, finalement, tous les grands capitaines sont couronnés par la défaite, de César à Napoléon, d’Annibal à Hindemburg, sans parler de la guerre actuelle où de 1939 à 1945 - et ce n’est pas fini! - tout le monde aura été battu à tour de rôle. Quand on est là, ça n’est plus un problème d’art, de science, de préparation, de force, de logique ou de génie, ça n’est plus qu’une question d’heure. L’heure du destin. Et quand l’heure sonne tout s’écroule. Dévastation et ruines. C’est tout ce qui reste des civilisations. Le Fléau de dieu les visite toutes, les unes après les autres. Pas une qui ne succombe à la guerre. Question du génie humain. Perversité. Phénomène de la nature de l’homme. L’homme poursuit sa propre destruction. C’est automatique. Avec des pieux, des pierres, des frondes, avec des lance-flammes et des robots électriques, cette dernière incarnation du dernier des conquérants. Après cela il n’y aura peut-être même plus des ânes sauvages dans les steppes de l’Asie centrale ni des émeus dans les solitudes du Brésil.
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- Pour l’instant Guillaume Apollinaire est canonnier à Nîmes, où il file le parfait amour.
- Le veinard ! Avec Marie Laurencin ?
- Mais non, voyons. Marie Laurencin a épousé un baron allemand et a passé en Espagne avec son mari.
- Non, c’est vrai ?... Pauvre Guillaume !...
(...)
- Et Max Jacob ?
- Comment, vous ne savez pas ? Max s’est converti.
- Pas possible !
- Si. Il a eu une vision. Le Christ lui est apparu chez Jeanne Léger.
- Chez Jeanne ?
- Oui. Max s’est réfugié chez Jeanne Léger, il se sentait trop seul et Jeanne l’a hébergé dans l’atelier de Léger. Oh, en tout bien, tout honneur !
(...)
- Et André Billy ? lui demandai-je.
- André Billy ? Il est à la censure à Paris, me répondit-il.
- Et les peintres ?
( ...)
- Robert Delaunay ? Il est actuellement en Espagne, avec armes et bagages, avec femme et enfant. Plus Arthur Cravan.
- Le neveu d’Oscar Wilde ? Cela m’étonne. C’est un costaud, poète et boxeur. Alors, lui aussi aurait foutu le camp ? J’ai peine à le croire. Et Picasso, il est en Espagne ?
- Picasso ? Non, il est sur la frontière, avec Juan Gris. A Céret, dans les Pyrénées-Orientales.
- Et mon bon ami Braque ?
- Il est au front.
- Et l’ami Fernand Léger ?
- Au front
- Et Derain ?
- Au front
- Et Picabia ?
- En Amérique
- Et Marcel Duchamp ?
- A New York.
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Dans ce magma les hommes glissaient, sautaient, nageaient, étaient plus souvent sur le dos ou sur le ventre que sur pieds et, comme des naufragés vidés dans un lagon, allaient munis d’une grosse canne ou d’un bâton, pataugeaient, s’enlisaient, perdaient le fond, plongeaient dans la flotte jusqu’au menton, se cramponnaient à des pieux ou à des bouts de planche coincés entre deux monticules bavants ou fichés de travers le long des parois glissantes comme les échelons d’une échelle démantibulée dont les deux bouts eussent été engloutis, et les hommes se sentaient perdus et restaient cramponnés à leurs misérables appuis, comme suspendus au bord du gouffre qui digérait tout ce qui y tombait, et si l’immonde bouillasse ne montait pas jusqu’à leur instable point d’appui pour leur faire lâcher prise à la longue, on voyait dans leurs yeux monter l’horreur et la détresse au fur et à mesure qu’ils prenaient conscience de leur situation et sentaient grandir leur faiblesse.

(La tranchée Clara)
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Vidéo de Blaise Cendrars
Interview de : Pierre Corbucci pour son livre : LA DISPARITION D'ARISTOTELES SARR
paru le 18 janvier 2024
Résumé du livre : Un roman aux accents tragiques qui entraîne le lecteur au coeur de la forêt amazonienne dans le combat qui oppose l'humain à la nature.
Amérique du Sud, années 1920. Lieutenant du génie, Aristoteles Sarr est chargé d'aménager une piste d'atterrissage au coeur de la forêt amazonienne. le survol de cette zone jamais cartographiée doit permettre de prolonger le chemin de fer. Convaincu du bien-fondé de sa mission, le jeune lieutenant n'a pas conscience que la jungle est animée d'une vie propre, que ses ténèbres fourmillent de dangers, et qu'à vouloir dominer la nature, on a tôt fait de s'en attirer les foudres. Aux abords de l'extravagant palais de la Huanca, dernière enclave humaine avant l'inconnu, d'étranges disparitions se multiplient.
Un roman picaresque aux mille nuances de vert, aussi puissant qu'une tragédie antique.
Bio de l'auteur : Pierre Corbucci est né en 1973. Après une enfance varoise, il étudie et enseigne l'histoire et la géographie avant de mettre sa plume au service de diverses agences de communication. Esprit curieux, mélomane avisé, voyageur alerte, il est toujours à l'affût de nouvelles histoires. Son goût marqué pour les littératures d'Amérique latine et le roman d'aventures lui donne envie d'explorer de nouveaux horizons littéraires. Fervent admirateur de Blaise Cendrars et de Gabriel García Márquez, il entraîne ses lecteurs aux confins de la jungle amazonienne à travers ce second roman.
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