Inutile de se cacher derrière notre petit doigt. La Terre est devenue toute petite, et ce que nous considérions naguère comme des pays lointains sont maintenant nos voisins, et nos cousins éloignés sont à présent nos frères : pour certains c'est un mal, pour d'autres c'est un bien. En tous cas c'est une réalité qu'il faut assumer et de la meilleure façon, en ne spoliant personne, en sauvegardant la dignité des individus, et en tâchant d'agir avec un maximum de justice et d'harmonie.
Le choc des cultures, et celui des civilisations, n'est pas nouveau. Il dure depuis… le début des civilisations, autant dire que ce n'est pas d'hier. Mais dans notre monde, il faut bien l'intégrer, et ce n'est pas facile. Ce roman de
Gilbert Cesbron a été écrit en 1969, les pays africains de langue française (ex A.E.F. et ex A.O.F.) ne sont indépendants que depuis moins de dix ans. Et le poids des cultures, la française et l'africaine, se fait déjà sentir.
L'histoire est celle de deux déracinés : Emmanuel Toukara et Augustin M'Bengué. Tous deux sont sarakolais (originaires d'un pays imaginaire d'Afrique Noire). Ils ont fait leurs études à Paris, et bardés de diplômes (d'avocat pour Emmanuel, de médecin pour Augustin), ils reviennent au pays.
«
Je suis mal dans ta peau » signifie qu'ils ne sont pas à l'aise dans la peau qu'on veut leur faire partager : noir chez les Occidentaux, blanc chez les Africains ; mais également qu'ils ont du mal eux-mêmes à aller vers les autres.
Le roman date de 1969, il est forcément daté : les jeunes états africains viennent d'acquérir une indépendance, mais le poids de la colonisation est encore très lourd et le problème est multiple : s'il est profondément culturel, comme nous venons de le souligner, il est aussi politique (la Françafrique, avec ses zones d'ombre et de lumière, étend sa toile sur une bonne partie du continent), il est économique, et il est racial. Quand on compare avec aujourd'hui (du moins pour ce qui est comparable) on se dit que rien n'a changé, ou alors c'est en allant vers le pire. Car les particularismes se sont accentués, le radicalisme s'est installé aussi bien dans les moeurs que dans les habitudes sociales et politiques, les ambitions personnelles prennent le pas sur les notions de partage et de communauté.
Comme souvent chez Cesbron, il faut prendre le roman comme un témoignage à un moment donné, mais qui a une résonnance universelle : c'est encore le cas ici : le choc des cultures, en 1969, a un sens particulier, vu le contexte de l'indépendance, mais il est significatif de tous ceux qui sont à cheval entre deux cultures : c'est certes flagrant entre peuples colonisateurs et peuples colonisés, mais on peut étendre cette notion à tous ceux qui, par brassage de population, par mariage mixte, par émigration/immigration se trouvent confrontés à l'obligation de faire vivre ensemble deux modes de vie : pas seulement assimiler deux cultures, mais aussi assimiler tradition et modernité, sans parler des problèmes de race ou de religion.
Nous avons quotidiennement des exemples de ce type.
Gilbert Cesbron, une fois de plus, ne juge pas et se borne au constat. D'autres, sur ce thème, auraient fait d'emblée le procès de la colonisation – et celui de la décolonisation – et auraient, sans nul doute argumenté avec force détails leur démonstration. Cesbron, à son habitude, reste à hauteur d'homme. Car, blancs ou noirs, européens ou africains, riches ou pauvres, savants ou ignorants, les gens qui vivent sur la terre sont des êtres humains, des hommes et des femmes qui ont en commun la lourde tâche d'avoir le bonheur et le malheur de vivre ensemble… et de ne pas savoir s'y prendre pour y arriver..