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Paru chez Robert Laffont en 1952, édité en Livre de Poche en 1965, « Les saints vont en enfer » est -avec « Chiens perdus sans collier », « Il est plus tard que tu ne penses » et « Entre chiens et loups »- un des ouvrages les plus connus de Gilbert Cesbron, écrivain français d'inspiration catholique. Dans « Les saints vont en enfer » il est question de la place du prêtre ouvrier dans la société française des années 1950. Pierre, jeune prêtre ouvrier, est affecté à Sagny (nom inventé), en pleine banlieue parisienne. Après son travail à l'usine, il aide les habitants du quartier ainsi que ceux qui y transitent, que ce soit pour trouver un endroit où passer la nuit, pour obtenir un travail même temporaire ou tout simplement pour manger quelque chose. Pierre se donne à fond dans sa mission mais quand il se met à fréquenter Henri, un gars du Parti -entendez, du Parti Communiste- ses supérieurs -qui se sont rendus compte que Pierre s'était également lié d'amitié avec une prostituée, avec un opposant espagnol vivant en France sous une fausse identité, avec un père au chômage maltraitant régulièrement son enfant- finissent par lui recommander de faire d'autres choix ou de rentrer dans un couvent, laissant ainsi sa place à quelqu'un de plus « normal ». Pierre -qui est un des saints du titre de l'ouvrage- se le tient pour dit, mais il fera un autre choix ... Évidemment, Dieu et les hommes sont au centre de l'ouvrage. Et l'auteur nous dépeint au travers de Pierre, avec beaucoup de justesse, ce que furent les prêtres ouvriers dans cette France des années 1950. Eux, qui étaient à la fois des hommes d'église et des ouvriers se voulant intégrés dans la « vraie vie », se mettaient fraternellement au service de tous, sans parfois accorder une place suffisante à leur ministère. D'une certaine façon, leur hiérarchie pouvait le leur reprocher puisqu'ils n'accordaient pas la priorité ou le temps nécessaire à l'accomplissement de leur mission qui était de diffuser la Parole du Christ. Cette question irrigue tout le récit ce qui conduit à penser que « Les saints vont en enfer » est d'abord un roman sur la foi et sur le doute qui peut animer l'homme qui la porte ; mais ce roman pose aussi la question de l'engagement, engagement personnifié par Pierre, mais aussi par Henri. Tous deux hommes d'action -impliqués avec enthousiasme dans leurs missions respectives-, ils connaitront successivement espoir, puis doute et abattement. Leur amitié restera intacte mais ils se demanderont sans cesse s'ils ont la capacité réelle à pouvoir changer le monde et quelle est l'utilité réelle de leurs combats respectifs. Accessoirement, ce roman constitue également à sa manière une sorte d'analyse et de révolte sociales, les protagonistes évoluant dans une banlieue sordide, sur fonds de baraquements et de pré-fabriqués, de chômage, d'alcoolisme, de prostitution, d'enfants battus, bref de misère noire et d'absence de tout espoir possible dans le lendemain. Qu'en penser ? le propos est louable et l'auteur -qui a manifestement pénétré la réalité sociale de la société française de son époque- déborde d'humanité, d'empathie et de tendresse pour les êtres humains, malgré leurs défauts et leurs faiblesses. Son appel à la solidarité, à la fraternité, à l'espoir, mais aussi à l'engagement de l'Église catholique pourra interpeler le lecteur. le style fluide, l'écriture très visuelle, le sens juste et évident des dialogues -vrais et simples- apportent une touche singulière à l'ensemble. Mais on pourra regretter le caractère désuet de l'ouvrage : la France a bien changé ; les Mines du Nord et ses dangers, ses vies gâchées, ses mineurs ressemblant à des zombies n'ayant plus la force de regarder femme et enfants sont loin derrière nous ; l'industrie n'a plus la place prépondérante qu'elle occupait ; le travail à la chaîne n'est plus aussi répandu ; les banlieues sont convoitées par les promoteurs et les futurs accédants à la propriété ; on n'expulse plus aussi facilement les locataires indélicats ; le PC et les syndicats n'ont plus la place qu'ils occupaient sur l'échiquier sociopolitique ; la mortalité infantile s'est considérablement amenuisée ; les prêtres ouvriers ont disparu, etc. Certes, il y a encore ici ou là des endroits où règnent la faim, l'insécurité, le froid, la violence et le manque d'espoir. On pourra également regretter ce côté naïf et moraliste, ce côté archétypal des protagonistes, la mise en scène théâtrale de certains entretiens, une représentation trop manichéenne du monde, l'utilisation de prénoms à forte connotation religieuse et l'intention délibérément populaire, pour ne pas dire idéologique, du propos. Je mets donc quatre étoiles. + Lire la suite |