On était loin de la flambée purificatrice de 1944 : le profit ,
la démagogie , les visées politiques avaient presque tout
ravalé .Une feuille au titre héroïque ne proposait plus à ses
lecteurs que des dessins humoristiques . D' autres , aux
visées ambitieuses, se cantonnaient désormais aux animaux ,aux guérisseurs , aux familles royales ou aux seins qui tombent .
Il éprouva un instant de véritable gloire : ceux , rares et fugaces ,où l' on
s' étonne soi-même ; c' est la seule définition de la réussite .
Ecoute ,en 1960 les étudiants japonais se sont révoltés ,les premiers , contre cette maladie venue de l' occident : l' esprit de concurrence ,le règne de l' argent , tout ça ...Bon ! dix ans plus tard , on a fait une enquête : les cents meneurs étaient devenus de bons cadres qui portaient à la boutonnière l' insigne de leur société , refusaient de prendre des vacances pour mieux la servir et faisaient des courbettes devant leur directeur général .
Cependant , ces fonctions au Soir n' amusaient plus du tout Benoit Il découvrait , après Philippe , que, dans la mesure même où vous le méritez , le succès ne vous comble pas .
Les états généraux de la nation se tenaient tous les octobres à la porte de Versailles, au salon de l'auto. On changeait de modèle chaque année ; la voiture précédente se dépréciait sur l'instant, passait de main en main et finissait au " cimetière", immense partouze de ferraille et de rouille où les véhicules, insectes monstrueux, se montaient l'un sur l'autre. Ou encore on les trouvait abandonnées dans un champ, à l'orée d'une forêt. Comme un petit enfant laisse tomber là où il se trouve le papier qui enveloppait son bonbon, on jetait n'importe où sa voiture.
La presse du cœur avait proliféré comme un cancer .
La vraie frontière entre les générations est peut-être l'humour. (p.341)
"Au fond, l'argent ne fait pas le bonheur", se dit le président. Cette pensée, qui les justifie, met les riches extrêmement à l'aise. (p.46).
Les jeunes occidentaux se considéraient comme le nombril du monde, et passaient volontiers, à le contempler, un temps qui n'avait plus du tout la même durée que pour leur parent. Car les progrès de la science leur promettaient quatre-vingt-dix années de vie, beaucoup plus de loisirs, des transports plus rapides---bref un gain de temps qu'aucune génération n'avait connu depuis l'origine de l'humanité. Cependant, une sorte de panique les poussait à épuiser au plus tôt et au plus vite le pauvre arsenal de plaisirs humains. On couchait à quatorze ans, se mariait à dix-neuf et visitait le monde entier avant d'avoir atteint le quart de son espérance de vie. D'ici peu, il faudrait agrandir l'univers pour y promener son ennui ; ce serait la lune, ce serait la drogue. Les accidents de voiture étaient devenus , chez eux, la première cause de mortalité ; le suicide allait bientôt les détrôner. C'était à cette génération-là, privilégiée, désespérée, présomptueuse, pathétique que Nous (le premier journal pour jeunes) s'adressait.
Ce jour fameux des années 20 où Diaghilev avait lancé à Cocteau son "étonne-moi", il avait livré au siècle sa maxime et grand ouvert les vannes du paradoxe, du sonne-creux, de l'imposture. Il s'agissait d'étonner chaque jour un public déjà accoutumé aux électrochocs. Si on lui avait montré Hiroshima en direct sur le petit écran, il aurait bâillé. (p.320)