Certaines personnes ont la chance de mourir de la façon suivante: votre vie se scinde en des centaines de couloirs, et vous saisissez brièvement toutes les vies que vous avez eues et toutes les personnes que vous avez été, malgré votre court passage sur terre. Vous vous imaginez l'équation mathématique infinie et interminable que ça représente et vous réalisez qu'il vous aurait été impossible de tenter de raconter votre histoire
C'était une bonne question. La plupart des gens semblaient se croire experts de leur propre vie. Ils avaient toute une série de souvenirs qu'ils enfilaient comme des perles, et ce collier leur racontait une histoire sensée. Mais elle pressentait que, dans leur ensemble, ces histoires ne tenaient pas debout si on y regardait de plus près - qu'en fait, nous nous contentions de jeter un coup d’œil à notre vie par un trou de serrure, et qu'une bonne partie de la vérité, que la réalité de notre vécu, nous était cachée. Les souvenirs n'étaient pas plus fiables que les rêves
Il existait un mot pour ça, me disais-je. Un syndrome, mais j'avais oublié son nom. Quand le thérapeute commençait à compter sur son patient pour le soutenir affectivement. Quand le thérapeute commence à confier des secrets à son patient. Quand, curieusement, il s'attache à son patient et que les rôles s'inversent presque
Nous n’arrêtons pas de nous raconter des histoires sur nous-même. Mais nous ne pouvons maîtriser ces histoires. Les événements de notre vie ont une signification parce que nous choisissons de leur en donner une.
Quand il se persuade d'avoir rêvé, le vérité le réveille....
Et si la dernière chose qui t'habite avant de mourir n'était pas le regret ? Et si ce n'était que la perplexité ? Pourquoi t'avoir fait venir sur terre si c'est pour que ta vie soit complètement dénuée de sens ? Qui a voulu que tu vives ? C'est gonflé ! Tout semble accidentel et fortuit. Jeter dans ce monde un bébé dont personne n'a voulu, sourire en le voyant avancer à tâtons dans les arènes merdiques que vous lui avez construites. Le regarder se battre. Ça aurait été moins cruel de le frapper avec une brique à la naissance.
Je n'avais jamais compris pourquoi les adolescents des années quatre-vingt pensaient qu'il existerait un jour des voitures volantes. Je trouvais ça très dangereux et bien peu pratique, mais comme ils en parlaient tous, c'est que ça représentait un véritable phénomène. Quant à moi, je rêvais d'un avenir sans extinction de masse, sans pénurie d'eau à grande échelle et sans cannibalisme.
"[...] Les événements de notre vie ont une signification parce que nous choisissons de leur en donner une."
Cela arrive certainement à tout le monde, à un certain âge : vous levez les yeux un instant et vous ne savez plus très bien quelle est la vraie vie. Vous vous êtes divisé en un si grand nombre d’alvéoles qu’elles sont à peine conscientes les unes des autres – elles arpentent, parallèlement, leur propre flux de pensée, et chacune pense être moi.
Quand j’ai découvert que ma mère allait mourir, j’ai pleuré pendant cinq bonnes minutes. Dix, grand max.
Mais c’est le genre de pleurs que vous n’oublierez jamais. Appelons ça des sanglots. Vous ne pourrez pas faire la différence tant que vous ne l’aurez pas vécu – votre corps devient soudain un organisme ; toutes les molécules s’évaporent et vous vous remplissez d’une matière plus chaude, plus lourde.
Jusque-là, vous pensiez que les émotions prenaient naissance dans le cerveau, mais voilà que vous réalisez qu’elles prennent en fait naissance dans le corps, qu’elles sont des diverticules de vos muscles, de vos poumons et de vos os.
Ma mère se trouvait dans un centre de soins palliatifs et, à l’époque, je ne savais pas ce que ça voulait dire. Mon père m’a emmené dans le patio de l’établissement, avec sa promenade en planches bordée de treillages, histoire de nous faire croire qu’on passait sous une tonnelle de vigne.
« Je ne suis pas sûr que ta mère s’en sorte », m’a-t-il dit. Puis il s’est éclairci la voix. « En fait, je suis pratiquement sûr. Qu’elle ne s’en sortira pas. »
Et voilà que dix mois plus tard, il était inquiet parce que je n’avais pas suffisamment pleuré. L’absence de larmes était un symptôme.
J’étais allé voir un de ses confrères qui m’avait prescrit du Zoloft. Que, soit dit en passant, je revendais. J’étais allé en voir un autre qui pensait que j’avais besoin de prendre du lithium. Que personne ne cherchait à acheter.