Passive, résignée, Babs regardait, attendait, écoutait.
Des gens passaient. Une fille en peignoir, pieds nus, un seau à la main allait vider ses eaux de toilette. Un homme, en pyjama courrait vers un cabinet à la turque.
Pas de grasse matinée. Pas de magazine lu au lit. Babs renonçait à ces habitudes dominicales.
Aussitôt levée, elle traversait le palier seulement vêtue d'un trop court kimono de soie blanche, dans des sandales pieds nus, les cheveux défaits, souriant de son beau sourire, le premier de la journée, comme une répétition générale de tous les sourires dont elle allait gratifier ses invités.
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Mais oui, c'est ce personnage crépu, au teint basané, aux lèvres charnues. Il est là-le voyez vous? Là, vous y êtes, il prend appui sur le gros orteil de la Madone...
Quoi qu'il en soit la sœur Rita en est certaine: les seigneurs agenouillés aux pieds de la Madone ne sont pas des donateurs.
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J'allais parfois la rejoindre à l'heure où elle déjeunait. Des crudités râpées un pot de yaourt et une tasse de café noir, le tout vite avalé. Puis elle commençait pas ôter ses chaussures, tendait ses jambes, exécutait quelques mouvements d'assouplissement. "Une maille filée ? Un bas tourné ?", sait-on jamais. , puis une savante rotation de ses chevilles et de ses orteils.
Ensuite elle allait à grand pas vers la fenêtre pour baisser les stores.
Elle était la sagesse de la terre et dans sa bouche les mots étaient un peu plus que des mots. Elle comprenait tout plus vite et mieux que quiconque. Elle ne savait rien. Mais elle avait dans le coeur de quoi refaire le monde.
Babs, essayons de la décrire. Mais quels mots choisir pour donner du relief à ce qui n'en a pas ? Babs était longue, blonde et abstraite. Je l'observais dans l'attente permanente d'une surprise. Un mirage.... une somnambule. Je cherchais à déceler sur son visage quelque trace de fantaisie, d'humour, ou bien les traces d'une émotion passée, joie ou chagrin, d'une désillusion, d'une bataille perdue ou gagnée, un pli au coin des lèvres, que sais-je, une errance du regard. Mais rien. Ni défaite, ni victoire. A vingt-cinq ans, âge où les traits des femmes constituent déjà comme une géographie de leur passé, Babs portait en évidence et comme à la surface de sa peau les signes d'une réussite sans histoire. Ses yeux d'un bleu de porcelaine exprimaient une gentillesse impersonnelle. Parfois - c'était bref et rare, mais on ne pouvait s'y tromper- un doute l'effleurait, de ne pas pousser assez loin l'imitation du prix d'excellence en raffinement, de la femme sans défaut, infatigable et indécoiffable, à laquelle elle s'était une fois pour toute identifiée. Crainte vite conjurée... Il lui suffisait de mettre en route toute une parade de gestes élégants. Elle jouait de quelques accessoires convaincants, poudrier, brosse à rimmel, panoplie de la fumeuse pour rire, un attirail précieux, un assortiment qu'elle savait extraire de son sac dans un joyeux tintement de bracelets et de breloques - chaque geste étant chargé d'exprimer la certitude qu'elle n'était pas une imitation camelote de la femme élégante, mais cette femme-là, elle-même - sans oublier le nuage de parfum atomisé à coups brefs juste sous le lob de l'oreille. Après quoi, rassurée, Babs se trouvait en terre connue, bien à sec, sur le rivage de ses convictions.
Cela peut paraître étrange ce désir de ne rien retenir. C'est à ces signes pourtant que l'on reconnaît l'exil.
Le hiérarque n'était pas peu fier de la question qu'il lui avait posée, de but en blanc : "Comment le père d'un officier mort au champ d'honneur peut-il refuser que son sacrifice se perpétue, gravé dans la pierre ?" La réponse ne s'était pas fait attendre : "Je ne tiens pas à servir d'exemple."
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On se passe la bouteille, on la hausse au niveau de l'oeil, on l'ausculte, on l'observe à contre-jour et l'on en discute à seule fin de prolonger l'exaltation .... "Parfaite ...elle est parfaite ... On dirait du miel ...." - "Vous trouvez ? .... Moi, je l'aime plus fruitée ..." "Chacun a ses goûts .... elle me convient ainsi ..." ...."On nous l'a clarifiée ..." - "Mais puisque je vous dis que je l'ai achetée chez le producteur ..." - " Jamais on ne me fera avaler un de ces produits d'exportation ..."
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Dis-moi, Gianna, tu ne leur apprends que cela à nos lectrices ..... les cornes ?
Ne t'inquietes pas, elles en auront pour leur argent. Je leur indique les magasins de Palerme où elles peuvent acheter des porte-bonheur de toutes les tailles ..
Tu verras, ce sera une folie la corne de Palerme. Elle sera copiée à un dollar d'ici deux mois.
Les cornes s'achètent en corail,en argent et même en bois.
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