Aimer et être aimée l'effraie, lui donne l'impression d'être vulnérable.
Elle doit nous trouver bêtes comme des lapins stupides.
Quand je repense maintenant à ce dernier trimestre, je ne suis pas sûre que c'était vraiment moi qui, assiste à ce bureau rayé par les stylos, levais la main pour répondre aux questions sur l'osmose afin de prouver que j'étais toujours la meilleure élève, que rien n'avait changé ; ou qui comparais les berlingots de la boutique de l'école avec Mathilda, comme si je vivais toujours dans un monde où les bonbons comptaient.
Une autre fille devait jouer mon rôle : moi, j'étais roulée en boule dans un coin, les mains sur la tête pour me protéger de la tristesse insupportable qui fondait sur moi sans prévenir, en déployant ses serres.
Je traîne sur la terrasse le "pique-fesse", le fauteuil en rotin le plus inconfortable qui soit, rapporté de Bombay par papi et donc irremplaçable - quand je serai mariée, j'achèterai des meubles neufs dans un grand magasin - pour m'asseoir pas trop loin de Toby.
- c'est l'heure chérie, dit papa une main sur mon dos.
Il essaie vainement de sourire. Je pense aux sanglots qu'il pousse nuit après nuit depuis que maman est morte.
Pour moi il n'y a pas de pire son au monde que les pleurs de mon père.
"Les secrets sont exaltants, mentir est horrible , j'aimerais tant être franche avec Toby.
Mais comment le pourrais - je?
Je suis incapable de penser.
Je me sens moins un être humain qu'une bulle irisdescente flottant dans un ciel d'été .
Moins une soeur ! Moins une enfant ! Et pourtant bizarrement , plus moi- même que jamais ...."
Ses yeux ont la couleur d'un ciel d'hiver, juste après l'aube.
Le lierre est plus dense que jamais : on a l'impression qu'il a grimpé sur la maison pendant qu'on dormait, collant au fenêtre ses pattes de grenouilles.
_Puisque nous ne tirons aucune leçon de nos aînés,nous sommes tous voués à répéter les mêmes erreurs,ajoute Mme Alton d'un ton las.
J’ai décidé dans l’avion, en contemplant le toit des nuages blancs, que je ferais comme si elle était morte avec les autres. C’était le seul moyen de survivre.
Bien sûr, je n’ai jamais pu m’empêcher de m’interroger, de regarder le calendrier en songeant : elle a trois ans, ou : elle entre à l’école, ou : elle a seize ans aujourd’hui. Et j'ai survécu – en menant une vie bien remplie. […] Il y avait des blessures dont je ne voulais pas guérir – les panser, c’était oublier, et je ne voulais pas oublier.