Un vrai coup de coeur pour ce livre. Non pas parce qu'il lève le voile sur un tabou, non, mais pour mille autres raisons …
Car pour moi, ce n'est pas seulement, comme nombreux sont à le voir, une belle histoire de vieillards qui se reprennent à aimer, pas davantage une démonstration que l'amour n'a pas d'âge, encore moins le conte de la belle au bois dormant revisité...
Ce livre nous raconte l'histoire du temps qui passe, qui passe si vite, celui qu'on laisse filer et qui laisse des regrets.. le temps des cerises...
Il nous raconte qu'il faut se garder de l'oppression dans laquelle se laisse enfermer les femmes, qui n'est pas tant le joug de l'homme mais plutôt leur propre vertu : le dévouement, qui lui fait-on croire est leur plus haute valeur mais qui petit à petit les enferme dans un rôle d'épouse, de mère, puis de grand-mère, où la femme n'est plus qu'une ombre si tant est qu'elle existe encore
Il nous dit que le coeur de l'homme ne se dessèche pas, mais qu'on lui demande seulement de se taire au nom de convenances dont on ignore le nom
Que le regard de l'autre est tout, que, tout comme l'enfant qui a besoin du contact de sa mère, le corps a tout âge a besoin d'être regardé, aimé, touché.
Que les regards en disent ou en laissent entendre plus longs que les mots, (d'ailleurs tout commence par un regard), le regard de Félix, l'artiste, qui la regarde de l'intérieur, qui voit en elle la petite fille qu'elle même a délaissée (“c'est très joli, on dirait ma fille” dit-elle en regardant son portrait, “c'est vous Marthe c'est ainsi que je vous vois”), les regards du fils toujours fuyants, empêtré qu'il est dans ses convenances, regard de la fille qui interroge sans dire, les regards qui jugent ou qui approuvent, regards lourds ou sarcastiques de la concierge, complices du barman (le poids de la société) … et le regard bien sûr de
la femme coquelicot qui autorise... son propre regard qui se dit oui, enfin.
Il nous dit encore plein de petites choses : que les enfants ne sont pas souverains, et que savoir dire non à ses enfants ne nous enlève par leur amour “non Mathilde. Ce livre n'est pas à toi. Je ne te le donne pas”...
Que se faire plaisir vaut tous les remèdes et les pilules de la terre, “cette fièvre qu'il ne faut surtout pas guérir”...
Que le regard des animaux et des enfants sont moins cruels même si les enfants sont en apparence sans pitié “Ben toi aussi tu es très vieux et t'es pas mort”...
Que le bonheur est simple et doit être cueilli quand il se présente sans autre embarras “non ce n'est pas sérieux, c'est pour ça que c'est bien”, ni questions existentielles “Pourtant, se sentir amoureuse en fait pas regretter à Marthe d'être une vieille dame. Pour rien au monde elle en voudrait rajeunir, repasser par les épreuves de la vie”
Qu'il n'est pas tout d'aimer mais plus difficile encore d'accepter d'être aimé....et encore tant de choses dans un si petit livre....
Et tout cela, avec une tendresse, une fraîcheur, une douceur infinie.
Une histoire exquise qui s'écoule doucement, avec naturel et simplicité... une écriture délicate et fragile, comme Marthe, mais scintillante et pleine de sensualité et de compassion.
Une histoire où les âmes sont en paix. Une histoire touchante, que je ne conseille pas de lire, mais de savourer.