Il est le garçon au sourire figé, à l'indéfectible rictus de bonheur aux joues...
Adopté sur un coup de coeur de Marie Antoinette, qui se lasse bien vite de son caprice, le petit Martin grandit à Versailles, quittant rapidement les salons dorés pour travailler comme garçon-vacher au Hameau de la Reine.
Une première partie pour l'enfance dans les décors somptueux du domaine royal,
Une seconde pour l'émancipation dans Paris, l'apprentissage du métier, de l'amour, des idées dans la frénésie des premiers temps joyeux de la Révolution,
Une troisième partie pour la perte des illusions et la fragilité d'un homme dans le chaos des guerres et les débordements sanguinaires de la Terreur.
Par une écriture travaillée et dans un style touffu, par des descriptions d'anthologie*, l'auteur nous fait vivre l'histoire politique et sociale de la France, à hauteur du petit peuple et par l'oeil de son garçon à la face étrange.
Il ne faut pas s'attendre à des rebondissements et une intrigue narrative. Tout le roman se justifie par la reconstitution d'une époque. On change de siècle, on s'immerge dans le Paris grouillant et populaire. L'annexe de vocabulaire en fin d'ouvrage contribue au dépaysement temporel, comme les personnages réels qui traversent le roman.
Une documentation haut de gamme fait de ce roman historique un modèle du genre.
Ce fut une lecture épatante! J'en remercie Masse Critique et les éditions Phébus.
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*telle celle du Paris de 1789, ou du gargantuesque dîner à la française. Quant aux guerres de Vendée, c'est oppressant de réalisme.
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Martin Sourire est d'abord un caprice, de ceux auxquels on cède sans broncher puisque c'est celui de la reine de France. La voilà donc qui s'éprend d'un enfant, trouvé sur la route, l'emmène avec elle, le décrotte, lui assure un savoir rudimentaire – qu'il fera fructifier en silence car c'est un taiseux – et…s'en lasse parce que son rictus perpétuel, doublé de son mutisme, la dérange.
Martin, abandonné par sa royale fée, va devoir commencer à vivre par ses propres moyens, se débrouiller dans le sillage de ce Versailles hors-sol, où tout n'est que décor illusoire, à commencer par cette nouvelle lubie royale, un hameau, auquel il sera associé, regardant parfois, avec envie et appréhension, la vraie vie du dehors à travers les grilles du château.
Déjà, dans le parc, il éprouvera la dure inégalité du monde en assistant à la pendaison d'un braconnier devant son fils. La misère n'a pas sa place dans cette monarchie finissante, à l'aube de quelque chose d'irrésistible et de plus grand que les individualités d'Ancien Régime. Une tempête comme la France en connut peu.
Martin va alors quitter ce monde factice de Versailles et entrer dans le Paris réel, y plonger même, comme un Rastignac, en moins ambitieux. Dans la place, il creusera tout de même son trou, entre les cuisines d'un grand restaurant et le service d'un architecte méconnu et fort cultivé. Puis il fera son devoir, consciencieusement comme pour tout, s'engagera de plain-pied dans la Révolution : la noble et la moins noble. La Révolution est une créature bicéphale, avec une bonne et une mauvaise tête. Cette dernière, il la connaîtra bien, l'alimentera en personne dans les colonnes infernales envoyées mâter la Vendée, une « guerre souillée » comme il la désignera.
La Vendée, dans le roman, ce sont quelques dizaines de pages d'un monologue intérieur cru et démaquillé du moindre effet de style. On ne met pas les formes pour raconter la crasse humaine : « Tiens, je vais t'en brasser, t'en enrager t'en enfourner tant que tu veux ; alors les cris et les larmes des autres, les prières des femmes et les pleurs des petits, qu'est-ce que tu crois, on s'en fout ça glisse dessus, c'est pour la juste cause de la patrie, on perce des corps qui prient, un soupir, amen, on se dit c'est pour ceux-là et voilà, c'est fini, on veut juste plus entendre un cri parce qu'on a autre chose à faire. »
Dit autrement, c'est : « Tuez-les tous, la République reconnaîtra les siens ! »
Ces pages sur la Vendée, sans doute les meilleures du roman, sont un spasme qui rappelle Céline et Giono, quand ils racontaient une autre guerre.
Martin Sourire illustre cette époque comme les Rougon-Macquart, le Second Empire. Quelle audacieuse comparaison avec Zola, vont bramer certains ! Ils n'auront sans doute pas lu le livre, dont le dossier en fin de volume prouve, si besoin était, que Chavassieux maîtrise son sujet. Mais ça, tout le monde en est capable, lire et archiver des faits. Par contre, ce que tout le monde ne sait pas faire c'est écrire un texte d'une telle envergure.
La vie volée de Martin Sourire réussit par ailleurs ce tour de force d'être dense, soutenu et : parfaitement lisible ! Jamais trop ni pas assez : visuel – une scène me fait d'ailleurs penser à la fin du film de Carné, Les Enfants du Paradis – et olfactif – voir les odeurs de Paris, on croirait le Parfum, de Süskind ! –; contemplatif et nerveux ; raisonné et halluciné ; ciselé ici et délié là ; etc.
Pour ce qui est du fond, Chavassieux, autant le dire, s'est aventuré dans un bourbier du roman national français, le creuset de toutes les passions qui embaument et empuantissent encore notre époque, c'est selon. Comment s'en sort-il ? Avec beaucoup d'équilibre.
Ce roman n'aurait donc pas à rougir si on le mettait en vis-à-vis d'Au revoir là-haut de Lemaître par exemple, car il a su impeccablement capter des événements dont la densité, en un temps très court, est sans doute unique dans l'Histoire de France.
En un mot, merci ci-devant ou citoyen Chavassieux, puisque votre roman ne penche ni pour les uns ni pour les autres !
(Merci aux éditions Phébus et à Babelio)
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Quel destin que celui de Martin arraché encore enfant à sa famille par une Marie-Antoinette en mal d'enfant puis peu à peu oublié et livré à lui-même dans le parc de Versailles lorsqu'il devient inintéressant à ses yeux. L'auteur le suit dans sa vie, la vie d'un enfant taiseux qui restera à jamais un déraciné.
Le hasard des rencontres lui permettra de faire son chemin en pleine révolution, de fonder une famille avec Marianne. Il s'engage dans l'armée révolutionnaire pour défendre des idées et se retrouve en Vendée dans les escadrons qui vont semer la mort. Une fois de plus son destin lui échappe.
Christian Chavassieux fait de cet inconnu un héros fragile. On se surprend à penser que, malgré tout, son passage à la Cour lui a ouvert les portes d'une instruction qu'il n'aurait peut-être pas eue sans cela et pourtant on sait bien que cette vie-là, loin des siens, n'est pas une vie.
La construction du livre est impeccable, conformes au caractère taciturne du héros les chapitres sont courts sauf lorsque, étouffé par les souvenirs de Vendée, sa pensée s'épanche sur les atrocités vécues et perpétrées. Un roman qui mérite d'être découvert.
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J' ai beaucoup aimé ce roman.
Je trouve que la plume y est magistrale. le héros est tout à tour touchant et repoussant, terriblement humain. Ma galerie des personnages qui gravite autour de lui est intéressante et sonne juste, ce sont des humains, pas des clichés.
Ce roman dresse un portrait sans concession d'une époque très mouvementée souvent présentée sans trop de nuances. Ici, j' en ai trouvé.
C'est aussi un roman plein de tendresse, de délicatesse, puis d' horreurs, de terreur, le tout dépeint avec justesse et finesse.
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