Citations sur La maison sans racines (41)
Que sont-elles, les racines ? Des attaches lointaines ou de celles qui se tissent à travers l'existence ? Celles d'un pays ancestral rarement visité, celles d'un pays voisin où s'est déroulée l'enfance, ou bien celles d'une cité où l'on a vécu les plus longues années ? Kalya n'a-t-elle pas choisi au contraire de se déraciner ? N'a-t-elle pas souhaité greffer les unes aux autres diverses racines et sensibilités ? Hybride, pourquoi pas ? Elle se réjouissait de ces croisements, de ces regards composites qui ne bloquent pas l'avenir ni n'écartent d'autres univers.
Un silence sinistre, à l'opposé de tous les silences qu'elle aime.Un silence qui contraste avec celui des lacs, des arbres, des montagnes. Un silence rempli de menaces, étranger au silence paisible de ses chambres d'enfant, de ses chambres d'adolescente, de ses chambres d'adulte. Un silence à mille lieues de tous ces silences qui débordent d'images, de rêves, de chants intimes.De tous ces silences voulus, désirés.
( j'ai lu, 1986, p.39)
Paris !...Peut-on aimer une ville comme une personne ? C'est pourtant comme cela que je l'ai aimée.
( J'ai lu, 1986, p.115)
Elles ont sept ans, huit ans, dix ans, douze ans. Elles posent et se posent des questions ; ces questions enjouées et graves de l'enfance.
- Ton Dieu a un autre nom que le mien ?
- Il s'appelle Allah, mais c'est le même.
- Tu crois que c'est le même ?
- C'est le même.
- Moi aussi, je le crois.
- On le prie différemment, c'est tout.
Il reprenait, atténuant de temps à autre les terreurs de l'Histoire en me faisant admirer la chaîne des montagnes, l'éventail feuillu d'un vallon entre deux falaises écorchées ; en m'apprenant à aimer la lumière, à respirer à pleins poumons, à entendre couler le torrent, à rendre grâce pour tous les bleus du ciel et pour ce jour de paix :
- C'est fragile. Chaque jour de paix est un miracle. N'oublie pas cette pensée. Où que tu sois, au plus profond de ta tristesse, elle t'aidera à sourire.
Myriam applaudit de toutes ses forces. Elle enviait cette enfant de là- bas; dans son pays, elle ne rencontrerait pas d'obstacles à ses dons.Souvent elle souhaitait partir loin, vivre ailleurs, n'avoir que sa propre existence à bâtir. Ici, il fallait tenir compte des familles, des coutumes, des religions, des milieux. On était pris au piège, serré dans un étau. Comment s'y soustraire ?
( j'ai lu, 1986, p.110)
La fillette refusait de croire à ces images.Elle voulait toucher son ami, le réveiller.Comme dans ces feuilletons où le mort, jamais tout à fait mort, se redresse, le lendemain, pour enchaîner une nouvelle séquence, elle était certaine qu'Aziz se lèverait et reprendrait sa place dans sa boutique reconstruite.(...)
Sybille ignorait la mort, la vraie.Dans son pays, la mort avait lieu ailleurs; loin des regards, dans des lits d'hôpitaux, au cours d'accidents d'avions ou de voitures. Les cadavres se volatilisaient, ou s'éclipsaient discrètement dans des cercueils en bois verni.
( J'ai lu, 1986, p.145)
Sybille et Kalya s'étaient fixé rendez- vous dans ce Liban, lointain pays de leurs ancêtres. Venues chacune d'un autre continent, cela faisait près d' un mois qu'elles s'étaient rencontrées, pour la première fois, sur un sol à la fois familier et inconnu.Petite terre de prédilection que l'enfant surprenait nichée dans quelques lignes du livre d'histoire ou de géographie, ou bien qui surgissait dans la conversation de son père Sam.Elle en rêvait. Ces rives légendaires, ces mondes de temples, de dieux, de mers, de soleils, elle souhaitait les voir, les reconnaître ; pouvoir plus tard en parler autour d'elle.
Pour la première fois, la fillette et sa grand-mère vivaient côte à côte.
( j'ai lu,1986, p.11)
L'étroite main du temps enserre les vies, puis les déverse dans la même poussière. Pourquoi abréger cette étincelle entre deux gouffres, pourquoi devancer l'œuvre de mort ? Comment arracher ces racines qui séparent, divisent alors qu'elles devraient enrichir de leurs sèves le chant de tous ? Qu'est-ce qui compose la chair de l'homme, la texture de son âme, la densité de son cœur ? Sous tant de mots, d'actes, d'écailles, où respire la vie ?
Silencieux et doux, Mitry avait tout pour déplaire à Farid.En plus, il "écrivait" ! Pas seulement des lettres, mais pour son propre plaisir :
- Un poète !
Le comble de l' insanité ! La famille s'en était aperçue à quelques taches d'encre violette qui maculaient ses doigts, à cette bosse sur la dernière phalange du médius.Son incapacité à faire de l'argent, à courir le beau sexe, à prendre rang dans la société rendaient le jugement de mon oncle sévère et sans appel.
( J'ai lu, 1986, p.62)