On remarque dans la vie des peintres d'alors une agitation incroyable. Paris ne dominait pas violemment les provinces; il n'offrait pas aux artistes d'école constituée et attirante ; chacun se façonnait dans le coin où il était né; il y créait quelques œuvres qui le faisaient connaître hors de sa ville. Le mandait-on à Paris, il y venait déposer un travail, puis il s'en retournait dans sa province natale oh il prenait femme, et se bâtissait un logis. Il pouvait faire dix fois le voyage de Paris, mais toujours son pays et les siens le rappelaient.
Le génie d'un grand peuple a cent faces diverses. Il y avait eu en Italie plus d'écoles illustres que de duchés et de républiques. Ainsi, en France : autant de températures, autant de tempéraments. Les races diffèrent dans les provinces, l'esprit y différait de même. Rouen, Blois ou Nancy, ne sont point sur la route de Rome. Ce sont pays riches de verdoyance, mais pauvres de lumière et de chaleur. Les rayons d'été n'y entrent dans les cathédrales gothiques qu'à travers les rosaces et les vitraux peints. Il n'y croît ni olivier ni oranger. Comment serait-il possible que nos peintres du Nord eussent manié même pinceau que ceux de Toulouse ou d'Aix, qui voyaient les montagnes et les mers bleues de l'Espagne et de l'Italie?
Presque tous les plus grands artistes de l'école française sont nés en province, y ont eu révélation d'eux-mêmes et y ont appris leur métier. Il est do premier intérêt pour l'histoire de notre peinture de savoir qui a instruit leurs ailes au premier vol. Ainsi, qu'était-ce à Caen que ce frère Lucas de la Haye, de l'ordre des Carmes, qui fut le premier maître de Robert Tournières?— Les Vanloo et les Parrocel, les Rivalz, les Jouvenet, Largillière et Watteau proviennent directement, je l'ai dit, d'écoles et d'influences provinciales.