Le mystérieux Mr Quinn

Mr Satterthwaite se sentait vieux. Il n'y avait rien là de bien surprenant dans la mesure où, aux yeux de beaucoup de gens, il était 'vraiment vieux'.
Des adolescents désinvoltes confiaient à leur petite amie :
"Le vieux Satterthwaite ? Oh ! il doit bien être centenaire... En tout cas, il a au moins quatre-vingts berges." Même les gamines les moins portées sur la vacherie déclaraient avec indulgence :
"Satterthwaite ? Oui, c'est une antiquité, il doit bien avoir soixante ans au bas mot." Ce qui dans un certain sens, était presque pire puisqu'il en avait soixante-neuf.
Et pourtant Mr Satterthwaite ne s'estimait pas si vieux que ça. Soixante-neuf ans, c'était un âge intéressant... un âge qui offrait des possibilités infinies... un âge où l'expérience de toute une vie commençait à compter. Se sentir vieux, c'était une autre paire de manches, c'était se laisser submerger par la lassitude et le découragement, c'était céder à la tentation de se poser des questions déprimantes.
Au fond, qu'était-il ? Un petit homme d'âge respectable, un peu ratatiné, sans femme ni progéniture, ne possédant rien en ce bas monde qu'une collection de tableaux de valeur qui, à cette étape de sa vie, ne parvenaient plus à le combler. Sur le plan humain, il n'avait pas d'attaches. Qu'il soit mort ou vivant, qui s'en préoccupait ?
A ce stade de ses méditations, Mr Satterthwaite s'arrêta net. Ses pensées prenaient un tour morbide, stérile. Il était en effet bien placé pour savoir que, selon toute probabilité, s'il s'était marié, sa femme et lui se seraient mutuellement détestés, que des enfants auraient été une source perpétuelle de soucis et d'inquiétude, et enfin que l'obligation de consacrer du temps et de l'affection à sa famille l'aurait tracassé au plus haut point.
"Rien ne vaut après tout son confort et ses aises", se dit-il avec fermeté.

(Extrait de la nouvelle : "L'homme qui venait de la mer")

Les trois hommes se retrouvèrent à minuit, et Mr Quinn exposa ses projets.
- C'est ce qu'on appelle un "dîner de rencontres", expliqua-t-il. Nous choisissons un lieu de rendez-vous, puis chacun s'en va de son côté, après s'être engagé sur l'honneur à inviter la première personne qu'il rencontrera.
Franklin Rudge trouva l'idée amusante.
- Mais si cette personne refuse ?
- A vous de vous montrer persuasif.
- Bien. Quel est le lieu de rendez-vous ?
- Un restaurant un peu bohème, où les clients un peu bizarres ne choquent pas. Il s'appelle 'Le Caveau".
Il indiqua où se trouvait le restaurant en question, puis chacun s'en alla de son côté.

(Extrait de la nouvelle : "Un soir à MONTE-CARLO")

Mr Satterthwaite était un observateur maniaque de ce drame qu'on appelle la Vie, mais il aimait les sujets hauts en couleurs. Il sentit une vague de découragement l'envahir. Les valeurs changeaient... lui, il était trop vieux pour suivre le mouvement.

Il a vraiment signé ! s'exclama Mr Satterthwaite, abasourdi.
- Il est un peu stupide, vous savez. (Après réflexion, elle ajouta :) Moi aussi, d'ailleurs ; c'est pour ça que je connais les réactions des gens stupides. Nous autres, quand on s'affole, on fait ce qu'il ne faut pas et après, on s'en repent.

Un étrange personnage, ce Mr Quinn, qui avait le chic pour vous montrer sous un jour totalement nouveau des choses que vous connaissiez depuis toujours.

Toujours votre théorie, dit doucement Mr Satterthwaite, selon laquelle, avec du recul, on perçoit mieux les évènements que sur le moment.
- Eh oui. Plus le temps passe, plus les faits se mettent en perspective. Et alors on distingue mieux leurs vrais rapports.
Pendant plusieurs longues minutes, les deux hommes restèrent silencieux.

Quinn ? Vous avez dit Quinn ?
Sa voix tremblotait d'excitation.
- C'est comme ça qu'il s'appelle, monsieur. Un ami à vous, peut-être ?
- Oui, absolument. Oh ! oui, certainement !
Dans son enthousiasme, Mr Satterthwaite avait oublié que plus d'un âne porte le nom de Martin.

L'esprit embrumé par l'alcool, notre doux vieillard s'identifiait soudain à cet aspect de l'histoire qui le renvoyait à ses propres préoccupations secrètes.

Vous avez raison, Mr Quinn, mille fois raison. Le temps ne règle pas les problèmes, il les présente simplement sous un jour différent.

Sapristi ! s'exclama Conway. Ecoutez-moi ce vent. C'est une nuit à ne pas mettre un chien dehors.
- Une nuit idéale pour les fantômes, dit Portal avec un rire insouciant. Tous les démons de l'Enfer sont de sortie ce soir.
[...] Une nouvelle rafale de vent se déchaîna et, quand elle s'apaisa, on entendit frapper trois coups sonores à la massive porte cloutée.
Tout le monde tressaillit.
- Qui cela peut-il bien être à une heure pareille ? s'écria Evesham.
Ils se regardèrent, stupéfaits.
- Je vais ouvrir, reprit Evesham. Les domestiques sont couchés.
A grandes enjambées, il se dirigea vers la porte et, après avoir eu du mal à ôter les lourdes barres, finit par l'ouvrir toute grande. Une bourrasque glacée s'engouffra dans le hall.
Sur le seuil se tenait un homme grand et élancé. Aux yeux de Mr Satterthwaite, il semblait paré de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, mais ce n'était là qu'un étrange effet dû au vitrail qui ornait la partie supérieure de la porte. Lorsque le nouveau venu s'avança, chacun put constater que c'était un homme mince, brun, vêtu d'un manteau de voyage.
- Je m'excuse pour cette intrusion, dit-il d'une voix agréable, mais ma voiture est tombée en panne. Rien de grave, mon chauffeur va pouvoir la réparer ; toutefois cela prendra bien une demi-heure, et il fait si froid dehors.
Il s'interrompit et Evesham s'empressa de prendre le relais :
- Mais bien entendu. Entrez donc prendre un verre. Pouvons-nous vous donner un coup de main pour la voiture ?
- Non, merci. Mon chauffeur saura se débrouiller. Au fait, je m'appelle Quinn. Harley Quinn.

(Extrait de la nouvelle : "L'arrivée de Mr Quinn")