Les factures, les maladies, les naissances… C'est beaucoup de tracas, une ferme. Même les bêtes en ont conscience. Et puisque les humains sont si taiseux - “chez nous, on cause pas, c'est comme ça” -,
Agnès de Clairville laisse les animaux écouter, voir et raconter.
Chacun leur tour, chacun à leur façon, ils rendent compte des événements de ce
corps de ferme. D'abord les porcs, tous en choeur, impossibles à rassasier, toujours affamés. Et puis la vache, qui connaît si peu de choses des humains - “des cris, des avance, des doucement, des voilà.” La chienne, généreuse, loyale quoi qu'il arrive, sensible aux odeurs, attentives à celles, acides, du sang et de la transpiration. le chat, si peu sentimental, presque indifférent - “nous avons nos aventures, les humains ont leurs histoires” -, le seul pourtant à avoir accès à l'intimité humide des chambres à l'étage. Et enfin la pie, elle qui voit plus loin du haut de son peuplier, jusqu'au cimetière.
L'histoire avance grâce à une accumulation de détails, perçus à hauteur de bêtes, sur près de vingt ans. Des détails, anodins ou cauchemardesques, qui méritent toute notre attention. Les gestes brusques du fermier, l'abattage de la moitié du troupeau, la voix douce et épuisée de la fermière, la mort d'un chiot, quelques mots prononcés par un gendarme, le silence besogneux de l'aîné, les sanglots du cadet à peine couverts par le ronron du chat.
Dans ce huis-clos paysan, ce livre-enclos, le lecteur est comme une bête. Domestiqué par la construction du récit, apprivoisé par l'alternance des points de vue, il flaire le drame avant de le comprendre. Pour la chienne qui prend de l'âge, pour les oiseaux à portée de griffes, pour les couvées trop nombreuses.