De quel prix est le monde auprès de la vie? et de quel prix la vie, sinon pour la donner?
Et pourquoi se tourmenter quand il est simple d'obéir?
Il n'est pas de vivre, mais de mourir, et non point de charpenter la croix mais d'y monter, et de donner ce que nous avons en riant!
Jacques hury : Donnez-moi le couteau, Violaine, je ne me suis pas trompé ? Quelle est cette fleur d'argent dont votre chair est blasonnée ?
Violaine : Vous ne vous êtes pas trompé.
Jacques hury : C'est le mal ? c'est le mal, Violaine ?
Violaine : Oui, Jacques.
Jacques hury : La lèpre !
VIOLAINE : Pardonnez-moi parce que je suis trop heureuse ! parce que celui que j'aime m'aime, et je suis sûre de lui, et je sais qu'il m'aime, et tout est égal entre nous ! Et parce que Dieu m'a faite pour être heureuse et non point pour le mal et aucune peine.
PIERRE DE CRAON : Va au ciel d'un seul trait ! Quant à moi, pour monter un peu, il me faut tout l'ouvrage d'une cathédrale et ses profondes fondations.
VIOLAINE : Et dites-moi que vous pardonnez à Jacques parce qu'il va m'épouser.
PIERRE DE CRAON : Non, je ne lui pardonne pas.
VIOLAINE : La haine ne vous fait pas de bien, Pierre, et elle me fait du chagrin.
PIERRE DE CRAON : C'est vous qui me faites parler. Pourquoi me forcer à montrer l'affreuse plaie qu'on ne voit pas ? Laissez-moi partir et ne m'en demandez pas davantage. Nous ne nous reverrons plus. Tout de même j'emporte son anneau !
VIOLAINE : Laissez votre haine à la place et je vous la rendrai quand vous en aurez besoin.
PIERRE DE CRAON : Mais aussi, Violaine, je suis bien malheureux ! Il est dur d'être un lépreux et de porter avec soi la plaie infâme et de savoir que l'on ne guérira pas et que rien n'y fait, mais que chaque jour elle gagne et pénètre, et d'être seul et de supporter son propre poison, et de se sentir tout vivant corrompre !
VIOLAINE : Et dis-moi où est la part de la Justice en tout cela ? cette Justice dont tu parlais si fièrement ?
JACQUES HURY : Je ne suis plus fier.
VIOLAINE : Va ! Laisse la Justice où elle est.
Vous autres lépreux, raclez-vous vos ulcères les uns aux autres.
ANNE VERCORS : Nous sommes trop heureux. Et les autres pas assez.
LA MÈRE : Anne, ce n'est pas de notre faute.
ANNE VERCORS : Ce n'est pas de la leur non plus.
Dieu est avare et ne permet qu'aucune créature soit allumée, sans qu'un peu d'impureté s'y consume, la sienne ou celle qui l'entoure.
VIOLAINE : Est-ce que ton mari te connaît, Mara ?
MARA : Quel homme connaît une femme ?
PIERRE DE CRAON : Jeune fille, dans mon métier, on n'a pas les yeux dans sa poche. Je reconnais la bonne pierre sous les genévriers et le bon bois comme un maître pivert : tout de même les hommes et les femmes.
VIOLAINE : Mais pas les jeunes filles, maître Pierre ! Ça, c'est trop fin pour vous.