N'oubliez jamais cela, Fredouille : tout est dans les livres. Notre vie n'est qu'un feuillet détaché de l'ouvrage gigantesque du monde.
- Effectivement. Une bibliothèque, c'est une âme de cuir et de papier. Il n'y a pas meilleur moyen pour fouiller dans le tréfonds d'une psyché que de jeter un œil aux ouvrages qui la composent. La sélection, le rangement, le contenu, même la qualité de la reliure : tous les détails sont importants. Me croiriez-vous si je vous disais que j'ai résolu toutes mes enquêtes à partir de livres ?
Pouvait-on vivre uniquement dans les livres, à travers les livres? Oui, pour assourdir la rumeur ignoble du monde, ce cri vulgaire et souffrant qui lui vrillait le crâne à la manière des portes de prison qui grincent. Et puis pour oublier son tumulte intérieur aussi, cette noire marmite bouillonnant au rythme des souvenirs.
Il lui semblait que la neige était un manteau de chagrin, couvrant le monde d'une douce brûlure.
N'oubliez jamais cela, Fredouille: tout est dans les livres. Notre vie n'est qu'un feuillet détaché de l'ouvrage gigantesque du monde.
Une bibliothèque, c'est une âme de cuir et de papier. Il n'y a pas meilleur moyen pour fouiller dans le tréfonds d'une psyché que de jeter un oeil aux ouvrages qui la composent. La sélection, le rangement, le contenu, même la qualité de la reliure : tous les détails sont importants.
La débâcle de Sedan l'avait entraîné sur les routes, passant à travers des monceaux de charognes puantes. Il y avait des chevaux au ventre ouvert, déployant des chapelets d'intestins violacés. Et les soldats qui formaient à la terre un manteau tant ils étaient nombreux à gésir sur le sol.
On lui disait souvent par plaisanterie qu'il ressemblait à une colonne Morris habillée en sergent de ville.
Il lui semblait que le bordel, comme le champ de bataille, contribuait à l'ordre du monde. C'étaient des points d'équilibre qui devaient rester solides dans leurs fondements sous peine de voir toute la société basculer et couler dans l'ordure. Putains et fantassins en étaient les gardiens sacrifiés.
Dans cette défaite dernière, tout en sachant que la compagnie était anéantie, que pas un homme ne pouvait tenir à son appel, il empoigna son clairon, l'emboucha, sonna au ralliement, d'une telle haleine de tempête, qu'il semblait vouloir faire se dresser les morts. Et les Prussiens arrivaient, et il ne bougeait pas, sonnant plus fort, à toute fanfare. Une volée de balles l'abattit, son dernier souffle s'envola en une note de cuivre, qui emplit le ciel d'un frisson.
Émile Zola, La débâcle