Les chômeurs en guenilles, traînant des chaussures où la boue de neige entrait, ramassaient parfois, devant les porches, un mégot de cigare qu’ils dépiauteraient pour le faire durer plusieurs jours. Ils regardaient les fenêtres illuminées en pensant à leurs propres enfants. Leurs poings se serraient dans leurs poches trouées. Trop de fatigue les habitait pour qu’un souffle de révolte pût encore les soulever vraiment. Si l’hiver n’avait pas exterminé les miasmes des maladies, du moins avait-il tué le ferment de la rébellion.
Rien ne se fait sur cette terre sans l’aide de Dieu
Il sourit et dit :
— Non. Ici, on fait confiance. On espère seulement que quand t’auras fait fortune, tu continueras de te servir chez nous.
— Ça, faudrait être salaud pour oublier ce que tu fais !
— On se plaint du travail. Puis le jour où on le perd, c’est tout vide.
Chez les colons partis pleins d'espérance à la conquête du Nord, chez les déshérités, les sans-travail qui refusaient de quitter les villes et vivaient de la charité publique, personne ne voulait accepter l'idée que le mal dont souffrait le monde avait été engendré par un excès de richesses. Et pourtant, l'essoufflement de l'économie était arrivé parce que les pays les plus industrialisés regorgeaient de tout. La maladie s'était avancée lentement, presque sans qu'il y parût. Ni les dirigeants, ni les industriels, ni les banquiers, ni les grands professeurs d'économie et de finances n'avaient voulu prendre le mal au sérieux.
Une fois le convoi reparti, on se rendait visite d'un compartiment à l'autre. Des liens se tissaient rapidement. Les malheurs endurés composaient un bon mortier de sympathie.
— Sitôt levé, Levé s’en va.
Ce petit curé vif comme un écureuil et bavard comme une pie savait fort bien se servir de ses mains.
C’était le temps où tout était péché, où le diable guettait les désœuvrés à chaque coin de rue. Partir pour cultiver la terre, c’était à coup sûr échapper à ses pièges. C’était sauver son âme en même temps que sa vie.
Les grands drames engendrant l’égoïsme, l’aveuglement et la soif de vivre.