Un père idéal

Il va devoir interroger des gens du milieu. Quelqu'un quelque part doit savoir quelque chose, hors de question que ces hommes ne paient pas pour ce qu'ils ont fait.

Si la capacité à lire un plan était l'un des tests de Darwin pour définir les plus aptes à la survie, il y a longtemps que j'aurais été baisé. Il me faut un moment, mais je finis par atteindre ma destination. Tracez une ligne droite sur un plan et relevez les différents quartiers qu'elle traverse, et ils empirent progressivement : de jolies maisons près du centre-ville, des maisons pas trop mal un peu plus loin, puis des baraques qui ne peuvent être arrangées qu'à coups de cocktails Molotov encore plus loin.

La criminalité est comme toutes les autres statistiques, comme l'inflation, le coût de la vie, elle va et vient en même temps que le prix du pétrole et le marché immobilier. Idem pour le nombre de meurtres--il ne peut être expliqué ni prédit sur un graphique, mais il obéit aux mêmes règles que les autres délits ; une statistique, un pourcentage.

Que vous aimiez ou détestiez la religion, une chose est sûre: elle est certainement l'une des choses qui tuent le plus sur terre. La religion emporte plus de vies que le cancer, les infarctus et les accidents de voitures combinés.

Lorsqu'il me dépose, le chauffeur de taxi sourit de soulagement, comme il le fait probablement chaque fois qu'il dépose quelqu'un sans s'être pris un coup de couteau. Son anglais est parfait lorsqu'il m'annonce le prix de la course, mais nettement moins bon lorsqu'il s'agit de calculer la monnaie à rendre. Les augmentations du prix de l'essence ont fait monter en flèche ceux des taxis - pas étonnant que de plus en plus de gens conduisent soûls. Je lui dis de garder la monnaie.

Sonatine, p. 230

« J'enfonce brutalement la pédale de frein et la voiture fait une embardée.
Mon passager, entraîné par son élan, est projeté en avant.
Sa main se replie complètement sur elle-même puis — shrip ! — un bruit humide retentit lorsque ses doigts se détachent.
Seulement ils ne se détachent pas du tout, ils sont toujours coincés dans la portière.
La chair se déchire depuis la base des doigts jusqu'au milieu de son avant bras, comme une pomme qu'on épluche, exposant muscles et tendons, et le type libéré part en volant devant la voiture.
Sa main n'est plus qu'un bout de viande sans rien d'autre qu'un petit doigt et un pouce.

[...]

Dans le rétro, je le vois rouler sur le flanc, mais sa jambe droite suit en revanche le mouvement et le sang gicle vers le ciel telle une fontaine.
Il se met à ramper et laisse sa jambe coupée environ cinquante centimètres derrière lui avant d'abandonner. »

Sonatine, p. 178

« Les illuminations de Noël clignotent dans ma direction depuis les fenêtres, les toits et les arbres, l'air nocturne est illuminé par les éclats rouges et jaunes, ainsi que par la lueur pâle de la nuit.
Si Jodie était vivante, tout ça serait fantastique.
À la place, c'est tape-à-l'œil et bon marché, des décorations produites par des ouvriers surexploités dans des ateliers du tiers-monde.
Ça donne l'impression que les gens dans ces maisons se raccrochent désespérément au bonheur. »

Sonatine, p. 78

« Cette église a une caractéristique que peu d'églises partagent : personne n'est mort pendant sa construction.
Que vous aimiez ou détestiez la religion, une chose est sûre : elle est certainement l'une des choses qui tuent le plus sur terre.
La religion emporte plus de vies que le cancer, les infarctus et les accidents de voiture combinés. »

Sonatine, p. 9

« “Certains pensent que la perversion de mon père était dans ses gênes, et qu'il me l'a transmise. Il est des gens qui croient que je suis moi aussi un homme de sang”, dis-je.
Et je regarde le sang de ma femme avachie du côté passager imprégner le tissu du siège.
“Ils croient que c'est le même sang qui coule dans nos veines. Mais ils se trompent.”
J'écrase la pédale d'accélérateur et fonce droit dans le mur. »

Le téléphone se met à sonner et je vais à l'intérieur pour décrocher avant qu'il ne réveille Sam.
"Jack ?"
C'est une voix familière, comme quand on allume la radio et qu'on tombe sur une chanson qu'on n'a pas entendue depuis vingt ans mais qu'on connaît par coeur. Notre esprit se brouille et on se retrouve à l'époque où on l'a entendue pour la dernière fois. Que le souvenir soit bon ou mauvais, on retourne dans le passé, et tout est là, les odeurs, les sons, l'ambiance.