Ne doit-on pas conclure que, si le son et le temps sont les éléments de l'art musical, il y en a d'autres encore qui appartiennent spécialement et exclusivement à la créature humaine, éléments que ses facultés, son action libre et spontanée ont développés au point d'en faire une sorte d'imitation du langage lui-môme, de satellite de sa pensée, d'écho de son âme, d'organe de sa passion, de ses sentiments, de sa douleur ou de sa joie?
Démontrer ces progrès de la civilisation en ce qui regarde la musique aurait semblé naguère une tâche inutile. En possession des phénomènes naturels de la résonance des corps et des lois harmoniques qui non seulement fournissent aux compositeurs d'inépuisables combinaisons, mais encore président à la construction des instruments, les musiciens jouissent d'un privilège unique au monde, celle de se servir d'une langue universelle, d'une clarté et d'une précision telles, que les artistes d'un orchestre, espagnols, anglais, français, russes, italiens, ne parlant que leur langue maternelle, peuvent néanmoins exécuter une symphonie de Beethoven ou une partition de Meyerbeer sur quelque point du monde que ce soit.
Les origines de la musique, je parle de la musique humaine, sont les mêmes que celles du langage. Qu'elles soient obscures aux yeux du philosophe, je n'en disconviens pas. Que les sons principaux, tels que ceux du tétracorde et de l'octave, aient été révélés à l'homme par le Créateur en même temps qu'un langage articulé, susceptible d'être associé à des idées transmissibles de génération en génération, il paraît plus raisonnable de l'admettre que de le nier. En effet, si le son et le temps sont les éléments constitutifs de la musique et sans lesquels elle ne peut exister, ils sont aussi associés au bruit, qui est l'opposé de l'art musical.
Si depuis Palestrina jusqu'à Haydn, Mozart et Beethoven, la musique symphonique n'a cessé de progresser, c'est que du principe tonal devait virtuellement découler, comme d'une source féconde, d'innombrables combinaisons des sons.