– Si je lui donnais de l’argent pour la faire taire ?
Et la fille ricana :
– C’est John Lennon qu’on assassine une seconde fois.
Certains passants jetaient des pièces dans l’étui de la guitare, mais la plupart restaient à distance ou s’écartaient en grimaçant, comme s’ils avaient capté des effluves peu ragoûtants.
Simon, lui, écoutait de toutes ses oreilles. Espérant trouver un semblant de beauté dans la mélodie, la chanson, les paroles, l’interprétation.
C’est à peine s’il remarquait les touristes, leurs guides, l’homme sans chemise (hélas) qui vendait des bouteilles d’eau à un dollar, ou le gringalet avec un bouc qui racontait des blagues pour un dollar (« Promo du jour : 6 blagues pour 5 dollars »). Il ne vit pas non plus la vieille Asiatique qui brûlait de l’encens en guise de vague hommage à John Lennon, ni les joggeurs, ni les gens sortis promener leurs chiens, ni ceux qui se faisaient bronzer sur la pelouse.
Mais il n’y avait aucune beauté dans la musique. Aucune.
Simon fixait des yeux la mendiante qui massacrait l’héritage de John Lennon. Les cheveux emmêlés, les joues creuses, elle était maigre comme un clou, sale, en haillons, cassée, perdue, sans toit ni loi.
C’était aussi sa fille Paige.
Et moi, j'aimerais rouler une pelle à Hugh Jackman, répliqua Hester. Nous allons donc tous les deux devoir vivre avec nos frustrations respectives.
Elle ramassa les quelques pièces et billets froissés d’un dollar et rangea la guitare dans son étui avec un soin surprenant. Ce simple geste – ranger la guitare dans son étui – bouleversa Simon. Il lui avait offert cette guitare, une Takamine G Series, le jour de ses seize ans. Il voulut renouer avec l’émotion associée à ce souvenir : le sourire de Paige quand elle avait décroché la guitare du mur de la boutique, ses paupières closes pendant qu’elle l’essayait avant de se jeter à son cou en criant : « Merci, merci, merci ! »
Simon fixait des yeux la mendiante qui massacrait l’héritage de John Lennon. Les cheveux emmêlés, les joues creuses, elle était maigre comme un clou, sale, en haillons, cassée, perdue, sans toit ni loi.
C’était aussi sa fille. Paige.
Simon passait souvent devant cette mosaïque quand les enfants étaient petits. À une époque où Paige avait peut-être neuf ans, Sam six et Anya trois, ils traversaient Strawberry Fields pour se rendre depuis leur immeuble dans la 67e Rue à la statue d’Alice au pays des merveilles près du bassin aux petits bateaux dans la partie est. Contrairement à tant d’autres statues dans le monde, les enfants avaient le droit de grimper sur les silhouettes en bronze d’Alice, du Chapelier fou, du Lapin blanc et d’une ribambelle de champignons géants à l’aspect douteux.
La perception l'emporte souvent sur la réalité
-J'aimerais poursuivre l'interrogatoire.
-Et moi, j'aimerais rouler une pelle à Hugh Jackman, répliqua Hester. Nous allons donc tous les deux devoir vivre avec nos frustrations respectives.
Le bureau de Thorpe était décoré dans le plus pur style du connard américain, tout en blanc et chrome avec une peau de zèbre au milieu, comme pour lui permettre de prendre la pose.
L'equation est simple : on a chacun une carrière, on élève des gosses, il y a des victoires et des défaites et la vie suit son cours, les journées longues et les années courtes mais, quelquefois, on prend le temps de regarder son compagnon ou sa compagne, celui où celle qui cheminé à vos côtés le long de la route solitaire et on se rend compte à quel point vos destins sont intriqués.
Simon serra les poings. La rage déferla, consumant son corps tout entier. Drogue, junkie, défonce... passe encore, mais que quelqu'un ait osé lever la main sur sa petite fille !
Il imaginait l'agresseur, son poing cruel, son rictus, le coup envoyé au visage de sa fille sans défense.
Sa fureur monta d'un cran.
Si c'était Aaron - et s'il avait été vivant et en face de lui en cet instant même-, Simon l'aurait tué sans hésiter une seconde. Sans regret. Sans une once de culpabilité.