Rosamond, 73 ans, vient de mettre fin à ses jours. Gill, sa nièce, est son exécutrice testamentaire et elle doit notamment retrouver une quasi inconnue se prénommant Imogen. Rosamond a en effet laissé des cassettes enregistrées à son intention. Malheureusement quatre mois après la mort de Rosamond, Gill n'a toujours pas trouvé de traces d'Imogen. Elle décide donc d'écouter avec ses filles les fameuses cassettes dans l'espoir d'avoir des indices lui permettant d'accomplir les dernières volontés de sa tante.
Sur les cassettes, Rosamond raconte sa vie à partir de la description de vingt photos marquantes. Elle choisit ce procédé car Imogen est aveugle et ne peut profiter de cet héritage en images. “Ce que je veux te laisser par dessus tout, Imogen c'est la conscience de ton histoire, de ton identité; la conscience de tes origines et des forces qui t'ont façonnée.”
L'histoire de Rosamond commence pendant la guerre où petite fille elle est envoyée loin de Londres, à la campagne, chez un oncle et une tante. Elle s'y lie d'amitié avec sa cousine, Beatrix, la grand-mère d'Imogen. Les deux fillettes font ensemble les 400 coups d'autant plus que le sexe féminin est mis à l'écart dans la ferme. Avec Beatrix commence une longue lignée de filles qui ne sont pas aimées par leur mère et Rosamond, avec le recul, prend conscience que tous les problèmes à venir sont le résultat de ce manque d'amour. “Mais malgré tout, il me paraît important, il me paraît essentiel de ne pas sous-estimer ce qu'on doit ressentir quand on se sait mal-aimé par sa mère. Par sa mère, celle qui vous a donné le jour! C'est un sentiment qui ronge toute estime de soi et détruit les fondements même d'un être. Après ça, il est très difficile de devenir une personne à part entière.”
Beatrix se marie très (trop) vite afin de quitter la ferme, avec un homme qu'elle n'aime pas. de cette union naît Thea, la mère d'Imogen. Elle est ballotée au gré des envies, des amours de sa mère qui la néglige de plus en plus au fil du temps. Thea reproduira alors les mêmes erreurs que sa mère jusqu'au plus terrible des drames.
L'écrivain anglais
Jonathan Coe laisse, avec son nouveau roman, son terrain de jeu habituel, à savoir : la critique sociétale. Il sa consacre ici à l'intime, à l'étude d'une famille marquée par une fatalité dramatique. Il explore ainsi l'autre grande voie de la littérature anglaise qui est plus tournée vers l'expression des sentiments, de la psychologie des personnages à l'instar de Rosamond Lehman que
Jonathan Coe prend pour modèle. En racontant sa vie, Rosamond tente de trouver un sens à cette suite de vies gâchées. Gill, qui est dans le roman le double du lecteur, espère retrouver une Imogen qui aurait coupé le fil familial du désamour et du malheur.
Jonathan Coe nous entraîne dans cette histoire grâce à une architecture rigoureuse. Chaque chapitre correspond à la description d'une photo qui n'est qu'un point de départ au récit de Rosamond. J'ai été happée par l'histoire qui nous est racontée, et déçue comme Gill lorsque la narration revient au présent. “Elle (Gill) était certaine qu'Elizabeth et même Catherine éprouvaient le même sentiment : ce récital (…) ne représentait plus guère qu'un intermède, une interruption frustrante dans le cours du récit de Rosamond, une intrusion du présent à un moment où seul leur importait le passé, la révélation progressive d'une histoire familiale secrète et insoupçonnée.”
Jonatahn Coe nous livre aujourd'hui l'un de ses meilleurs romans, le plus vibrant d'émotions et le plus sensible.
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