J'ai dit à ma mère (...) : "Je préférerais que papa soit mort comme le père de Delphine qui s'est noyé l'été dernier et depuis tout le monde est aux petits soins avec elle. Même les professeurs n'osent pas lui mettre de mauvaise note à cause du traumatisme."
Ma mère est devenue toute blanche et m'a balancé une gifle à me dévisser la tête.
(p. 46)
(...) quand [Papa] est revenu de l'hôpital, plus rien n'a été pareil chez nous.
Il fallait parler doucement, ne plus jouer, ne plus courir, ne plus sauter, ne plus crier.
Et le plus triste : ne plus recevoir d'amis.
Matthias [sept ans], sans rien comprendre, répétait à tout le monde que c'était à cause de Damoclès et de son épée. Et ses copains croyaient que notre père avait un ennemi terrible qui voulait lui faire la peau.
(p. 21-22)
Moi j'ai bien compris que [Papa] avait failli mourir et qu'il pouvait encore mourir mais qu'il ne fallait pas le dire.
Je l'ai compris mais je n'y ai jamais cru.
Il est trop fort.
Il ne peut pas mourir.
(p. 21)
[Depuis que papa est malade] on dirait que [maman] nous abandonne Matthias et moi, qu'on l'intéresse moins qu'avant.
Que désormais elle n'a plus qu'un enfant : notre père.
Et nous du coup, on n'a plus ni vrai père ni vraie mère. Mais j'exagère sûrement.
(p. 14-15)
(...) un muscle comme un autre, un organe et rien de plus.
Mais l'ange de l'Amour, c'est dans le coeur qu'il plante ses flèches, pas dans le nez ou les oreilles. Non ?
Et quand on a du chagrin, c'est notre coeur qui est "brisé" pas notre coude. Et les filles frivoles comme Chloé, on dit bien qu'elles ont un "coeur d'artichaut", pas un genou d'artichaut. (p.47)
"J'ai l'impression pénible qu'il y aura toujours quelque chose qui clochera chez moi. Au fond, les filles, c'est comme les copies. Moi je me sens comme un brouillon et Chloé est une copie propre, celle qu'on rend au professeur sans rature et sans tache;"
Un père qui change de métier, de femme, de look, ça c'est banal mais de coeur... (p.39)
Et son vieux coeur malade, qu'est-ce qu'ils en ont fait ?
Est-ce qu'ils l'ont jeté à la poubelle comme un pauvre morceau de viande pourri, comme le coeur du poulet rôti du dimanche que maman donne aux chats errants parce que personne n'aime ça ? (p.30)
Le docteur Shapira m'a juré que le jeune homme de toute façon allait mourir et qu'en donnant son cœur il ne mourrait pas tout à fait. Il m'a dit que les hommes avaient besoin les uns des autres pour exister, qu'ils étaient solidaires et qu'on le voyait encore mieux avec ces histoires de greffes
Est-ce qu'ils ont jeté son coeur avec tout ce qu'il y avait dedans : l'amour et les souvenirs ?
Voilà ce que je me disais quand il est rentré de l'hôpital avec son coeur neuf.
Un coeur vide ou plutôt un coeur plein de choses qui ne nous regardent pas, Matthias, ma mère et moi.
Un coeur qui ne nous connaît pas, rempli de gens et de paysages inconnus. (p.31)