Phobie

On se reverra enfin !
L'invitation à cette soirée, elle venait de lui.
L'ogre, le croque-mitaine.

J'ai beau attendre, non seulement je ne parviens pas à crier, mais je finis par comprendre ce qui se passe. JE NE DORS PAS. Je suis bel et bien réveillée, pleinement consciente. Je ne suis pas en train de faire mon cauchemar récurrent, celui qui revient systématiquement me hanter avec une régularité d'horloge. Il ne s'est pas non plus modifié, comme je l'ai cru tout d'abord.
C'est pire que cela.
Il s'est réalisé.

e suis comme La Belle au bois dormant. J’ai succombé à un sort de sommeil. J’attends. J’attends qu’on vienne me réveiller. Mais je n’aurai pas droit à un baiser, comme dans les contes de fée. Plutôt à une morsure.

Des étoiles. Je n’en ai jamais vu autant. C’est magnifique. On dirait que leur nombre ne cesse de croître, qu’il n’y a pas assez de place pour elles dans le ciel, si bien qu’elles franchissent la barrière de la verrière. Comme un orage d’étoiles. Oui, il pleut des étoiles ! C’est une véritable exposition d’étincelles, de paillettes qui envahissent la pièce et qui, bientôt, dessinent les contours de sa silhouette.

- Pas question! Je viens! affirma Anna.
Quelle tête de mule, cette gosse, décidément !
- Seulement....
Gênée, Anna hésita à poursuivre.
- Seulement quoi ?
(...)
- J'ai changé d'avis....
- Parfait ! Dans ce cas, je te raccompagne !
- J'ai changé d'avis concernant le fondant au chocolat. Je peux emporter un morceau avant de partir ?

La porte de votre inconscient était déjà grande ouverte, je n’ai pas eu à intervenir outre mesure. La preuve : vous vous souvenez de tout ce que vous m’avez dit. Avec une hypnose classique, le contenu de notre échange vous aurait échappé. Je ne vous ai rien soutiré à votre insu.

La glossolalie est une langue relativement cohérente sur le plan grammatical, mais la syntaxe et le vocabulaire sont très particuliers. Le médecin ne peut la traduire que s’il perçoit les règles propres à son malade.

— Les pleins phares ?
— C’est ainsi qu’on appelle, dans le jargon médical, la dilatation excessive de la pupille. C’est une caractéristique du regard des enfants en proie aux terreurs nocturnes. Ce qui était bien le cas d’Anna, au sens propre du terme, pas au sens médical. Terreur nocturne, répéta-t-il en détachant les deux mots. Nocturne, parce que c’était la nuit, tout bêtement, et terreur, parce que cette enfant a été terrifiée par quelque chose. Quelque chose…
— Qu’elle a vu, conclut Ferreira à sa place.
— Exactement ! Qu’est-ce que c’était ?
Ferreira haussa les épaules en signe d’ignorance.
— Je n’en sais rien. J’ai eu ce sentiment cette nuit-là, mais je serais incapable de vous dire pourquoi. C’était davantage une intuition. L’affaire a été rapidement classée, je n’ai pas eu tous les éléments en main. Je ne me suis pas occupé du dossier, mon stage se terminait. Dès le mois suivant, je suis retourné à l’école de police et je n’ai plus eu d’informations.

Le cauchemar était l’expression d’une angoisse de séparation. Le thème de l’enlèvement y était omniprésent, surtout chez les petites filles. Ensuite, même chose que précédemment : les séances s’espaçaient, puis s’arrêtaient. Lors de la dernière séance, Anna avait, précisait la thérapeute, apporté les livres que lui avait offerts son père et qu’elle avait l’habitude de lire avec lui. Des contes. Cendrillon, Barbe bleue, La Belle au bois dormant, La Belle et la Bête. C’étaient eux, les coupables. Leurs pages enfermaient les monstres de ses cauchemars. Anna les avait abandonnés, elle n’en voulait plus. Le trait était tiré, la rupture consommée. Et la guérison assurée.

Rassurer la mère pour guérir l’enfant. Quitte à masquer la véritable souffrance de cette dernière. Fournier sentit l’irritation le gagner. Et ce qu’il lut par la suite n’arrangea rien.