W.W. Collins constitue pour mon humble personne de lecteur la référence absolue. Ce préambule posé, commençons!
Ce qu'il y a de bien dans les auteurs prolifiques, c'est qu'on découvre encore et toujours des textes non publiés ou non traduits comme c'est le cas pour nombre de romans du romancier anglais (sans mentir, je pense que la bonne moitié de sa foisonnante production est encore en langue originale).
Une Belle Canaille a été publié il y a plus de dix ans en France mais, déjà lors de sa sortie, ce court récit ne connut une publication sous la forme de roman que vingt ans après avoir été proposé sous la forme de feuilleton dans la revue dirigée par
Charles Dickens. Il faut savoir qu'au milieu du XIXème siècle, on n'éditait que des pavés en plusieurs volumes et Collins ne voulait ajouter d'autres textes à cette petite merveille.
La vie (et l'oeuvre) de Collins est indissociable de l'ombre du grand Dickens. Tour à tour, compagnon, ghostwriter, relecteur du maitre, Collins a eu du mal à s'échapper de l'influence manifeste de Charles. On se demande même comment il trouvait le temps d'écrire ses propres romans dans un emploi du temps surbooké.
Si Dickens mettait en scène les bas-fonds de l'âme humaine dans les ruelles londoniennes sous le regard innocent (pour combien de temps encore?) d'enfants voués à une vie de misère ou simplement misérable, son alter-ego aimait fustiger la noirceur d'âme des biens pensants de la haute société Victorienne. Pour ceux et celles qui ne connaissent pas encore ce champion du suspens (Doyle reconnait en lui une référence), je les invite à ouvrir les bijoux que sont
Pierre de Lune, la Dame en Blanc,
Sans Nom, Mari et Femme ou encore Passion et Repentir. Dissimulation. Kidnapping. Faux-semblants. Meurtres. Usurpation. Vrais escrocs et véritables héros… ou héroïnes car, dans l'oeuvre de Collins, la femme, toujours bafouée de ses droits (en a-t-elle seulement dans cette société régie par les hommes?), fait souvent preuve d'une volonté de fer. Pour les autres, rompus aux ambiances sombres des romans-fleuves, je les engage à ouvrir ce court roman qui se lit comme on déguste une friandise.
Dès le premier chapitre, j'ai tout de suite pensé au Pickwick Club de Dickens, véritable olni (objet littéraire non identifié) dans l'oeuvre du compagnon de Collins. Je reconnais avoir été pris de fou-rires incontrôlables et démesurés dans cette délirante épopée de « gangsters » qui ressemblaient davantage aux Pieds Nickelés plutôt qu'une véritable bande organisée. Mais revenons à notre sujet.
En réalité, Frank Softly n'est pas un mauvais bougre comme le titre pourrait le faire penser. Il est né dans une excellente famille et conserve, au fil de ses aventures, une morale irréprochable. Ce sont les évènements qui vont décider pour lui. Victime des circonstances ou pas à sa place, Frank va gravir les échelons du crime sans toutefois atteindre le dernier barreau, celui du meurtre. Car le propos reste toujours aussi léger que l'air pur des montagnes. On imagine aisément Collins se défouler en écrivant ce divertissement. Et le lecteur jubile. Passant de caricaturiste bon enfant à la copie frauduleuse de Rembrandts qui lui rapporte juste 5% du montant total de la vente, puis, poussé par une curiosité dictée par l'amour, jusqu'à mettre le pied dans un gang de faux-monnayeurs, Frank finira au bagne. Mais, là encore, pas de pathos. Un véritable pied-de-nez à la bonne société en une peine que nombre d'entre nous aimerions purger. Et l'on se rend compte que, derrière cette fantaisie non dénuée d'humour, se cache une vraie morale. Pas celle attendue du renégat repenti, mais bien de toute une société où, pour réussir, il faut savoir prendre des libertés avec la loi. Troublante morale mais si juste. Rien de sordide là-dedans car, après tout, les agissements du héros ne font de mal à personne, ou si peu. On aimerait que la société ne regorge que de ces délinquants inoffensifs, des canailles plaisantes en somme.