Tierra del Fuego

Or la mer n'aidait pas seulement Popper à récolter son or ; elle veillait jalousement sur lui comme le plus fidèle des gardiens. En pillant les caves du «Roi de Páramo», les malfaiteurs avaient, pour leur malheur, emporté tout l'alcool qu'ils avaient trouvé. Une tempête éclata en pleine mer alors qu'ils étaient tous ivres, célébrant joyeusement leur fuite. Ils furent incapables de manœuvrer les voiles et le lougre sombra, engloutissant à jamais dans les profondeurs océanes son équipage et ses vingt-cinq kilos d'or, comme pour servir d'exemple aux sujets du «Roi de Páramo».

"... Une patte énorme, oui, énorme et cendrée, s'avance, s'avance et m'écrase la poitrine. Et soudain un éclair ! Qui illumine les anciennes prairies ensoleillées, où les tiges étaient si tendres et les fruits si juteux ! Un éclair qui foudroie la vie heureuse d'autrefois... Forêts échevelées, dans la tempête... Je suis la plus fragile des tiges, fils de l'eau et du vent ! Le vent furieux qui m'arrache et m'emporte... Que va-t-il m'arriver ? Retrouverai-je un jour une forêt dont nul vent ne viendra m'arracher ? ou serai-je à jamais transformé en rafale errante ?

Lorsque Martin comprit les intentions de son ami, il fixa sur lui cet effrayant regard. Ce fut le dernier avant que la mort ne l'emportât ; mais sa fulguration emplit la cabine, s'incrusta sur les murs et ne laissa plus jamais Foster dormir en paix.
Ce regard scintillant d'épouvante ou de haine était passé à l'éternité, alourdissant l'atmosphère d'un halo de douleur devant tant d'abjection. A partir de ce jour, Foster respira un air raréfié ; en toutes circonstances, qu'il surveillât le timon ou qu'il grattât la peinture, une lourde angoisse l'oppressait.

Un homme vêtu d'un cache-poussière gris sortit d'une guérite du quai et, s'approchant de moi, me demanda :
- Ca vous dirait d'aller travailler à Navarino?
- Navarino?... fis-je, essayant de me souvenir.
- Oui, Navarino! La grande île au sud du canal de Beagle. Là-bas on a besoin d'un homme à tout faire.

Une brise d'humanité, qui depuis longtemps n'avait pas rafraîchi le cœur de ces deux hommes, adoucit peu à peu l'existence qu'ils menaient en lieu oublié de la côte orientale de la Terre de Feu.

Tel un papillon qui s'extrait lentement de son embarrassant cocon, l'esprit de Schaeffer oubliait peu à peu amertume et souffrances, découvrant que la vie dans ces parages était loin d'être désagréable.