Citations sur Le Bonheur, désespérément (58)
Il ne s'agit pas de vivre dans l'instant : il s'agit de vivre au présent, on n'a pas le choix, mais dans un présent qui dure, qui inclut un rapport présent au passé (la mémoire, la fidélité, la gratitude) et un rapport présent à l'avenir (le projet, le programme, la prévision, la confiance, le fantasme, l'imagination, l'utopie, si vous voulez, à condition de ne pas prendre vos rêves pour la réalité). La sagesse n'est ni amnésie ni aboulie. Cesser d'espérer, ou espérer moins, ce n'est pas cesser de se souvenir ni renoncer à imaginer et à vouloir!
L'essentiel, c'est de ne pas mentir, et d'abord de ne pas se mentir. Ne pas se mentir sur la vie, sur nous-mêmes, sur le bonheur.
lorsque vous dites "je t'aime", cela signifie "tu me manques" et donc "je t'e veux" ("te quiero", comme disent les Espagnols: je t'aime, je te veux, c'est le même mot). C'est donc bien demander quelque chose, c'est même tout demander puisque c'est demander quelqu'un, puisque c'est demander la personne elle-même! "je t'aime: je veux que tu sois à moi." Alors que dire "je suis joyeux à l'idée que tu existes", c'est ne rien demander du tout: c'est faire état d'une joie, autrement dit d'un amour, qui peut certes aller avec un désir d'union ou de possession, mais qui ne saurait s'y réduire. Tout dépend de quel type d'amour on fait preuve, pour quel type d'objet.
La philosophie est une pratique discursive, qui a la vie pour objet, la raison pour moyen, et le bonheur pour but.
"Qu'est-ce que je serais heureux si j'étais heureux!". Cette formule de Woody Allen dit peut-être l'essentiel : que nous sommes séparés du bonheur par l'espérance même qui le poursuit. La sagesse serait au contraire de vivre pour de bon, au lieu d'espérer vivre. C'est où l'on rencontre les leçons d'Epicure, des stoïciens, de Spinoza, ou, en Orient, du Bouddha. Nous n'aurons de bonheur qu'à proportion du désespoir que nous serons capables de traverser. La sagesse est cela même : le bonheur, désespérément.
Imaginez, madame, qu'un homme vous aborde dans la rue :
-- Madame, je suis joyeux à l'idée que vous existiez.
Comme il n'est pas exclu qu'il emprunte cette idée à ma conférence, il faut que je vous donne quelques éléments de réponse... Que pourriez-vous lui répondre ? Par exemple, ceci :
-- Mon cher monsieur, cela me fait plaisir. Vous êtes joyeux à l'idée que j'existe ; or, vous voyez, j'existe, en effet, donc tout va bien. Bonsoir monsieur !
Sans doute va-t-il essayer de vous retenir :
-- Attendez, ne partez pas ! Je veux que vous soyez à moi !
-- Alors là, mon pauvre monsieur, c'est tout-à-fait autre chose. Relisez Spinoza : "L'amour est une joie qu'accompagne l'idée de sa cause." Vous êtes d'accord ?
Si la philosophie ne nous aide pas à être heureux, ou à être moins malheureux, à quoi bon la philosophie ?
Ce n'est pas la valeur de l'objet aimé qui gouverne ou justifie l'amour ; c'est l'amour qui donne de la valeur à son objet.
Le bonheur est le but de la philosophie. Ou plus exactement, le but de la philosophie est la sagesse, donc le bonheur - puisque encore une fois, l'une des idées les mieux avérées dans toute la tradition philosophique, et spécialement dans la tradition grecque, c'est que la sagesse se reconnaît au bonheur, ou du moins à un certain type de bonheur.
Parce que si le sage est heureux, ce n'est pas n'importe comment ni à n'importe quel prix. Si la sagesse est un bonheur, ce n'est pas n'importe quel bonheur! Ce n'est pas par exemple un bonheur qui serait obtenu à coup de drogues, d'illusions ou de divertissements.
Le bonheur est le but de la philosophie. Ou plus exactement, le but de la philosophie est la sagesse, donc le bonheur.