J’avais complètement oublié tous les tours que Frédéric m’avait joués et même que deux jours plus tôt, il avait voulu m’enivrer avec de l’alcool mexicain. Tout cela faisait partie d’une ancienne vie, brumeuse et lointaine, car il me semblait que ma vie serait désormais divisée en deux parties. Avant Hugo, après Hugo.
Soudain, les grands vents se sont levés.
Ils se sont mis à courir et à faire la ronde autour de la maison. On aurait dit ces hordes de chevaux à moitié sauvages comme on en voit dans les westerns américains qui, ayant rompu leurs lanières et piétiné leurs enclos, galopaient, hennissaient furieusement, se cabraient dans la nuit. A certains moments, elles frappaient de leurs sabots de fer les fenêtres et les portes tandis que venaient s'ajouter à ce vacarme, le miaulement, le jappement ou le feulement d'autres bêtes aussi féroces qui prenaient part au sabbat.
J'ai demandé à mon père :
- Et si le cyclone arrivait pour de bon ?
Il n'a pas répondu à ma question et a seulement dit :
- Va te coucher.
Parfois je ne comprends pas les grandes personnes. C'est à croire qu'elles oublient qu'elles ont été des enfants ou des adolescents, qu'elles ont eu peur, qu'elles se sont senties toutes faibles dans l'existence avec au cœur un grand besoin de réconfort. J'aurais aimé que mon père au lieu de m'envoyer au lit comprenne ce que j'éprouvais et m'accorde un peu de temps. Sans doute pense-t-il qu'à treize ans, je dois simplement obéir. Toujours obéir.
Et pourtant tout le monde en parle de ce cyclone qui doit venir sur nous. Il paraît qu'à la météo, on l'a déjà baptisé: Hugo. Victor Hugo est mon poète préféré. Je connais ses vers par cœur. Aussi, je trouve que ce n'est pas juste de donner le nom d'un écrivain qui avait l'amour des enfants et des pauvres gens à un semeur de tristesse, de malheur et de deuil.