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Citations sur La Panse du chacal (6)

Au fond, le monde créole était pareil au nôtre avec ses castes et ses interdits, c'est-à-dire tout en haut, les Békés-brahmanes, au milieu les mulâtres-vaishya, en bas les Nègres-shudra et encore plus bas, les Indiens-parias. Cette réflexion m'avait été faite par Théophile, l'instituteur métropolitain et je la trouvais pour le moins judicieuse, sauf qu'aucune divinité n'en avait, comme en Inde, décidé ainsi. Ou plutôt, ici, dans ce pays, l'Etre immense était la canne à sucre. C'était elle qui avait créé cette île de toutes pièces, qui l'avait façonnée à sa seule volonté, sans que pourtant nul ne lui vouât aucun culte. Aucun temple ne célébrait sa splendeur et si les Blancs étaient ceux qui profitaient le plus largement de ses largesses, on n'en avait jamais aucun s'y frotter. Tenir un coutelas en plein soleil, s'esquinter à jeter bas les cannes fléchées durant la moitié de l'année, les transporter à l'usine en tombereau ou à dos de mulet, les transformer en sucre et en rhum, tout cela était la destinée du Nègre et de l'Indien. Parfois du Chinois, du chabin ou du mulâtre. Jamais du Blanc. Jamais.
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Ceux qui sont repartis, bravant à nouveau la furie de deux océans, ont oublié ceux qui sont restés. Ceux qui sont restés ont entrepris de durer, non pas tant dans le souvenir des dieux ancestraux, ni même dans la souveraine saveur du "kolbou", mais en inscrivant tout cela - ô la savante géométrie du vermillon, du jaune et du vert sur la toile en madras ! - dans l'avancée du Temps créole, celui qui empile déjà Temps du peuple caraïbe, Temps d'Europe et Temps d'Afrique.
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« − Ce serait trop long à expliquer. Une autre fois ! Enfin, si tu veux vraiment savoir... eh ben... nous, les Z'indiens, on n'a pas le droit de quitter notre pays pour aller vivre dans un autre. Ici, en Martinique, nous ne sommes pas vraiment chez nous. D'ailleurs, c'est ce que disent tout le temps les nègres. Ils ne nous aiment pas parce que quand les blancs leur ont retiré leurs chaînes – ils étaient esclaves depuis un bon paquet de temps – ils n'ont pas compris pourquoi nous sommes venus de si loin pour les remplacer. Ils nous ont haïs à cause de ça ! »
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Il avait perdu la mémoire. L'Habitation avait fini par l'user bien qu'il s'acharnât à réciter les textes sacrés à ceux d'entre les jeunes Indiens qui n'avaient pas peur de son aspect hideux. L'Ancêtre, âgé à présent de cent quatre ans, s'était mis en tête de faire de moi, Vinesh Dorassamy, son disciple, le continuateur de la Voie qui conduit à l'Etre immense et au samadhi tant désiré. J'étais celui qui lui rendait les visites les plus fréquentes, ne me lassant jamais de ses longues litanies, entrecoupées de silences méditatifs encore plus longs. Il était doué de patience, qualité rarissime dans ce pays de permanente frénésie. L'Ancêtre croyait m'avoir convaincu que le but de la vie humaine est d'atteindre ou, à tout le moins, de rechercher la perfection.
"Chaque fois qu'en quelque endroit de l'Univers la spiritualité voit un déclin et que s'élève l'irréligion, ô descendant de Bharata, je descends en Personne", me récitait le vieillard en guise de bienvenue.
Mais les années s'écoulaient, le temps chassait le temps et les dieux de l'Inde continuaient à vivre cachés dans des chapelles sordides, délabrées, aux confins des plantations, vénérés par des gens qui avaient tout perdu de la riche langue tamoule même s'ils étaient encore capables d'éructer, au moment des transes, quelques bribes de prière, des onomatopées rituelles. Vint le temps où seuls Z'Oiseau et lui furent capables de converser librement sans passer par le créole. L'arrêt des convois nous avait privés, nous les travailleurs indiens, d'une source revivifiante, avait définitivement coupé le cordon ombilical qui nous reliait à Madras. Nous étions devenus prisonniers de cette terre sans dieux, de cette Martinique brutale, cynique, paillarde, fataliste, peuplée de Blancs qui ne vénéraient que l'argent, de mulâtres pour qui le savoir des livres était tout et de Nègres contraints à des ruses de compères Lapin pour garder la tête hors de l'eau. Quant à cette race étrange à laquelle appartenait le commandant Sosthène, aujourd'hui brisé par la maladie, cette race dénommée chabine, mixture paradoxale de Blancs et de Négresses, elle comptait sur la seule rage qui bouillonnait en elle pour en imposer aux autres. Tous ces Créoles se comportaient en tout cas comme si, après la vie terrestre, il n'y avait plus rien, même s'ils feignaient de suivre les préceptes de la religion catholique qui promettait le paradis aux plus méritants.
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nous, les Z'Indiens, on n'a pas le droit de quitter notre pays pour aller vivre dans un autre. Ici, en Martinique, nous ne sommes pas vraiment chez nous. D'ailleurs, c'est ce que disent tout le temps les Nègres. Ils ne nous aiment pas parce que quand les Blancs leur ont retiré leurs chaînes - ils étaient esclaves depuis un bon paquet de temps - ils n'ont pas compris pourquoi nous sommes venus de si loin pour les remplacer. Ils nous ont haïs à cause de ça ! Or, nos parents ne parlaient pas leur langue et eux n'entendaient rien à la nôtre si bien qu'ils n'ont pas pu expliquer aux Nègres qu'ils n'étaient pas venus dans ce pays pour leur voler leur place mais pour étaler du sucre au soleil... Tu souris ? Eh bien oui, c'est avec cette baliverne qu'à Pondichéry ou à Karikal on nous poussait à émigrer. A désirer si fort ce paradis qu'était l'Amérique. Et de sucre, nos parents n'en ont rien vu car les usines nous ont toujours été interdites. Aux Nègres, le travail mécanique, à nous, la simple coupe des pieds de canne à sucre ! Chaudronnier, c'est pas fait pour nous, soi-disant. Ni ajusteur non plus. Ni cuiseur ni rien de tout ça. Nous ne sommes bons qu'à couper la canne comme de nouveaux esclaves et nos dieux ne sont pas contents. Et nous les oublions peu à peu. Nous délaissons nos temples...
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A douze ans, on était jeté dans les champs de canne, un coutelas à la main ; à dix, on pouvait ramasser les tronçons, intégrer les petites-bandes ; à huit, on avait assez de coeur pour faire l'aller-retour jusqu'à la source, une énorme calebasse posée sur la tête, et circuler de pièce de canne en pièce de canne pour étancher la soif des coupeurs. Les jeunes Indiennes, quoique filiformes, faisaient de bonnes attacheuses. Le commandeur Sosthène, qui connaissait tout le personnel de la plantation - et nous étions un bon paquet, oui ! sans doute plus d'une centaine -, s'arrangeait pour ne pas placer la marmaille, ainsi détournée du droit chemin, dans les mêmes champs que leurs parents. Les adultes s'étonnaient bien de voir les enfants de leurs voisins s'échiner à leurs côtés mais la pudeur hindoue interdisait de poser des questions. Chacun s'imaginait que les parents avaient donné leur accord pour qu'ils n'aillent plus à l'école primaire de Macouba.
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