Tout ce qui meurt

Mais il ne fut pas nécessaire de recourir à la reconstruction faciale. Il fallut moins de deux heures pour identifier le cadavre de la jeune femme sorti du marais. Bien qu’elle ait séjourné dans les eaux troubles du bayou pendant près de sept mois, on n’avait signalé sa disparition que trois mois auparavant.
Elle s’appelait Lutice Fontenot.

Chapitre 43

Le lendemain matin, les restes de la fille furent disposés sur une table métallique, dans la position fœtale que lui avait imposée l’exiguïté du fût. Suivant les instructions données par le FBI, elle avait été apportée à La Nouvelle-Orléans, pesée, mesurée, radiographiée, et on avait relevé ses empreintes digitales. (...)
On avait l’impression que c’était une indignité ultime, après les affres de sa mort, de l’exposer dans le cadre stérile de cette salle, face à ces hommes qui l’étudiaient. Une partie de moi avait envie de la recouvrir d’un linceul et de la transporter avec douceur et précaution jusqu’à un trou sombre près d’une eau courante, où des arbres ombrageraient le sol sous lequel elle reposerait, et où plus personne ne viendrait troubler son sommeil éternel.
Mais une autre partie de moi, la partie rationnelle, savait qu’elle méritait de retrouver un nom, une identité qui mettrait fin à l’anonymat de ses souffrances et, peut-être, nous aiguillerait vers l’homme responsable de cette mort pitoyable. C’est pourquoi nous restâmes dans la pièce pendant que les médecins légistes gantés de blanc se mettaient au travail.

Chapitre 43

Daddy Helms était aussi laid physiquement que moralement. S’il avait été moins intelligent, moins amer et moins enclin à la violence, il aurait probablement fini par vivre dans une petite maison dans les forêts du Maine, et il aurait vendu des arbres de Noël au porte-à-porte aux familles attristées par le mauvais tour que lui avait joué la Nature. Au lieu de quoi sa laideur semblait n’être qu’une manifestation externe d’une corruption spirituelle et morale profonde, qui donnait à penser que la peau de Daddy Helms n’était peut-être pas le pire chez lui. Il était habité d’une haine, d’une véritable fureur à l’encontre du monde qui l’entourait.

Chapitre 40

J’étais hanté par ma femme et ma fille. Je les sentais, non seulement dans le vide et l’impression de perte, mais aussi comme une présence réelle dans mon existence. Il me semblait les apercevoir aux limites de mon quotidien, quand je passais de l’état de conscience au sommeil, ou lorsque je me réveillais. Parfois, je m’efforçais de me convaincre que c’étaient de simples fantômes de ma culpabilité, des créations nées de quelque déséquilibre psychologique.(...) Plus encore, je décelais des traces d’elles chez chaque jeune femme, en chaque fillette.

Chapitre 35

— Pourquoi le Diable a-t-il été banni du Paradis ?
— Pour son orgueil, dit Angel. Je me souviens que Sœur Agnes nous en a parlé.
— C’était l’orgueil, oui, enchaîna Louis en coulant un regard à Angel. Je me souviens que Milton nous l’a affirmé.
— Quoi qu’il en soit, coupa Rachel, vous avez raison, ou partiellement raison. Depuis Augustin, le péché du Diable est l’orgueil. Mais avant Augustin, le point de vue était différent. Jusqu’au quatrième siècle, le Livre d’Enoch faisait partie du canon biblique. Ses origines sont controversées – on ne sait avec certitude s’il a été rédigé en hébreu ou en araméen, ou encore une combinaison des deux – mais il semble bien offrir le socle de certains concepts qui sont toujours dans la Bible telle que nous la connaissons. Le jour du Jugement dernier est peut-être dérivé du Livre d’Enoch. L’Enfer ardent où règne Satan apparaît également pour la première fois dans Enoch.
« Ce qui nous intéresse, c’est qu’Enoch professe un point de vue différent sur la nature du péché du Diable. »

Chapitre 34

Et quelque part, en un lieu ténébreux, une pendule se mit à décompter les heures, les minutes, les secondes avant que sonne la fin du Voyageur.

Chapitre 30

Ses paroles restèrent un instant en suspens, avant de creuser une faille entre nous, un peu comme si une lame déchirait notre passé commun.

Chapitre 30

Le mal était toujours en elle. C’était une sorte de perversité qui allait bien au-delà de la méchanceté limitée d’une bête sauvage poussée dans ses retranchements. Je crois que les notions de justice, de droit, de récompense lui étaient étrangères. Elle vivait dans un univers de douleur et de violence et, pour elle, tuer des enfants, les torturer, les mutiler revenait à respirer ou à boire. Sans tout cela, sans les cris étouffés, sans les soubresauts futiles et désespérés, l’existence n’avait pas de sens et elle était condamnée à prendre fin. (...) Je croyais au diable et à la douleur. Je croyais à la torture, au viol, à la mort atroce et lente. Je croyais à la souffrance, à l’agonie, et au plaisir qu’elles procuraient à ceux qui les infligeaient. À tout cela, je donnais le nom de mal, et chez Adelaide Modine, je voyais les étincelles rouges de ce mal crépitant se transformer en flammes de sang.

Chapitre 29

Monsieur Parker, elle est morte, cette ville. Elle est hantée par les fantômes des enfants morts. Si vous trouvez la fille Demeter, vous lui dites de retourner là d’où elle vient. Il y a que la peine et la misère qui l’attendent ici. Dites-lui ça. Vous lui direz quand vous la trouverez, hein ?

Chapitre 23

« Je vais vous dire un truc, monsieur Parker. De tout ce que j’ai pu voir sur cette terre, Adelaide Modine était ce qu’il y a de plus proche du mal absolu, et pourtant, j’ai vu des frères pendus aux arbres et brûlés pendant qu’on les pendait. Adelaide Modine, elle était pire que les gens qui avaient pendu mes frères, parce que je peux pas imaginer la raison pour laquelle elle aurait fait ça. Ça peut pas s’expliquer, sauf si on croit au diable et à l’enfer. C’est la seule explication que je peux trouver. Elle venait de l’enfer. »

Chapitre 23