Il y a maintenant une éternité, dans une autre vie, mon collègue professeur d'histoire nous a entraînés , ma classe et moi, dans une passionnante aventure. Nous étions invités à participer à un colloque sur la guerre 14-18.
Après avoir dévoré une énorme quantité de romans traitant de ce thème, j'en ai sélectionné quelques uns que les élèves liraient pour en tirer une communication à présenter devant spécialistes et autres écoles. Cela m'a contaminée. Et, contre ce virus, pas de vaccin. Par la suite, mon mari et moi avons visité une multitude de lieux (Somme, Verdun,
Chemin des Dames, Historial de Péronne...) J'ai continué à lire. Et aujourd'hui, me voici face à une gigantesque pile de bandes dessinées.
Sur la couverture de la première, un groupe d'amis pose devant un bistrot. Il n'y a que des hommes, ils sont souriants. Ils font sans doute la fête, car
Louis est à l'accordéon et une bouteille débouchée trône au centre de la compagnie. Mais, à l'arrière-plan, on distingue l'ordre de mobilisation générale placardé sur la façade.
Évidemment, vu le titre, on se doute bien que ce bonheur est éphémère. Au dos de l'album, la joyeuse société s'est transformée en bataillon de soldats, en pleine charge, baïonnette au canon.
Les pages de garde affichent les portraits des héros, ainsi que ceux de leurs femmes ou fiancées. Ce sont les oeuvres de
Maurice, le peintre, qui ne quitte pas ses crayons, pinceaux, fusains ou sanguines. C'est lui le narrateur. Au début du volume, la guerre est finie, on est en février 1919. L'atmosphère est lugubre.
Paris est sous la neige. Un couple consulte un médecin. Quand l'homme retire l'écharpe qui lui cache le visage, la vision est atroce : c'est une gueule cassée.
La première moitié de l'histoire se déroule dans le paisible village en pleines réjouissances. On pourra y faire la connaissance des huit protagonistes, de leurs compagnes, de leur famille. Tout s'arrête brutalement lorsque le crieur public annonce la mobilisation.
Vont se succéder le départ en train, les plaisanteries, les promesses de retour quelques jours plus tard...Voilà nos gars sur la route, croisant une file de gens qui partent. Pour aller où ? Et très vite, la boucherie commence : dans une bâtisse, un tireur embusqué cause de nombreuses pertes. Les dessins couvrent des planches entières. Des incrustations ici et là rendent compte de la pagaille. Des têtes éclatent, des hommes tombent, le bruit de la mitrailleuse déchire la page en lettres géantes.
Le traitement est très réaliste, les visages expressifs, les attitudes bien typées. Les couleurs de
Jérôme Brizard permettent de créer l'ambiance : elles sont sombres, presque en noir et blanc dans le prologue, tendres, pastel lors de la foire au village, grises à l'arrivée des troupes, plus violentes lors du carnage. le découpage est important : bien sage et assez classique en temps de paix, il traduit bien le chaos de l'attaque et le volume se termine sur une grande image pleine page très frappante. N'oublions pas les décors de
Loïc Chevallier. Ils sont très importants et créent l'ambiance : rues et immeubles de
Paris sous la neige, habitat rural, forêts dans lesquelles on bivouaque.
J'ai adoré cette bande dessinée.