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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
C'est un vieux breton du Finistère qui m'a fait aimer Corbière, breton éternellement jeune, mort à 30 ans, inconnu, méconnu, dans sa misère noire et ses amours jaunes..

Poésie virile et gouailleuse, désespérée et cynique, faite de bribes de paroles,échangées par-dessus bord, faite de mots jetés comme des ponts fragiles par-dessus les silences qui s'entendent toujours quand on parle sans se rencontrer.

Poésie d'ellipses pudiques et d'images au vitriol. Poésie de pipes mal embouchées et de coques mal calfatées. Poésie de désirs éconduits et de fringales inassouvies.

Relire Corbière c'est se retourner vite pour tenter d'entrevoir le coin d'un pardessus troué qui disparaît derrière le phare, la fumée d'une pipe qui se dissipe dans un bouge du port, ...et sentir son coeur se serrer..
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Publiés pour la première fois à compte d'auteur en 1873, Les Amours Jaunes passent totalement inaperçus auprès du public, tout comme leur auteur, un certain Tristan Corbière. Il faudra attendre l'initiative et l'hommage rendu en 1884 par Paul Verlaine dans un article consacré aux Poètes Maudits (y figurent aussi Lautréamont et Rimbaud) pour que Tristan Corbière et ses amours Jaunes bénéficient d'un début de reconnaissance.
Garçon à la santé précaire et à la scolarité difficile, Corbière s'est toujours voulu à l'écart des autres. Plus tard, devenu un jeune dandy marginal, il a acquit une grande culture littéraire. L'influence de son père - Édouard Corbière, officier de marine devenu plus tard journaliste et écrivain - y est pour beaucoup. Elle restera déterminante sur tout son travail d'écriture. Il lui dédiera d'ailleurs Les Amours Jaunes.

Je suis entré dans la lecture des amours Jaunes sans préjugés, avec beaucoup de curiosité. Ma surprise fut grande de découvrir une poésie très particulière, quelque chose de totalement à part.
La poésie de Tristan Corbière est comme un flot d'écriture ininterrompu, qui emporte avec lui calembours, mots d'argot, termes d'ancien français, syllogismes, références littéraires et mythologiques. Un fourre-tout exalté et exaltant !

Tout au long des amours Jaunes, Corbière oppose sa vérité personnelle aux impostures romantiques (courant littéraire qui était dominant à l'époque), il souhaite opérer une démystification de la poésie et de la place du poète qu'il juge trop surannés et mensongers. Pour cela, pas de théorie, pas de manifeste. Seule la passion des mots agit.

« Elle était riche de vingt ans,
Moi j'étais jeune de vingt francs,
Et nous fîmes bourse commune,
Placée, à fonds perdu, dans une
Infidèle nuit de printemps...

La lune a fait un trou dedans,
Rond comme un écu de cinq francs,
Par où passa notre fortune :
Vingt ans ! vingt francs !... et puis la lune !

En monnaie - hélas - les vingt francs !
En monnaie aussi les vingt ans !
Toujours de trous en trous de lune,
Et de bourse en bourse commune...
- C'est à peu près même fortune ! »*


Était-ce la volonté de Corbière mais Les Amours Jaunes semblent se décomposer en deux parties, deux parties où le style diffère.

La première débute par un très beau poème « le Poète & la Cigale » (la référence à La Fontaine est évidente) et se poursuit dans un registre dans lequel Corbière évoque, en les mêlant, sa vie sociale et amoureuse. Dans Ça, Les Amours Jaunes ou encore Raccrocs, le poète se révèle implacable, utilise tous les registres du langage, sonde son époque avec tout le pittoresque, l'ironie, la drôlerie l'irrévérence et parfois jusqu'à l'autodérision.

Dans la seconde partie, l'auteur délaisse la dimension personnelle de sa poésie pour la concentrer sur la vie d'une collectivité plus large, plus anonyme. Dans Armor et Gens de Mer, Corbière fait un portrait marquant de la Bretagne (région dont il est originaire) au travers de ses traditions, des villageois, des pêcheurs. Ici, la forme comme le style paraissent plus convenus, plus hésitants entre modernité et tradition. Mais le charme n'en finit pas d'opérer.

Pour Corbière, écrire c'est aller où mènent les mots. La lecture des amours Jaunes n'est pas autre chose. Rentrer dans cette oeuvre, c'est accepter de se laisser emporter par l'imprévu, par l'inconnu, par l'autre que soi. C'est aller et revenir vers la plus belle des destinations, celle qui va des mots à l'imaginaire.

« […]
Poète, en dépit de ses vers ;
Artiste sans art, - à l'envers ;
Philosophe, à tort à travers.

Un drôle sérieux, - pas drôle.
Acteur: il ne sut pas son rôle ;
Peintre: il jouait de la musette ;
Et musicien: de la palette.

Une tête ! - mais pas de tête ;
Trop fou pour savoir être bête ;
Prenant pour un trait le mot très.
- Ses vers faux furent ses seuls vrais.

Oiseau rare et de pacotille ;
Très mâle... et quelquefois très fille ;
Capable de tout, bon à rien ;
Gâchant bien le mal, mal le bien.
Prodigue comme était l'enfant
Du Testament, - sans testament.
Brave, et souvent, par peur du plat,
Mettant ses deux pieds dans le plat.

Coloriste enragé, - mais blême ;
Incompris... surtout de lui-même ;
Il pleura, chanta juste faux ;
- Et fut un défaut sans défauts.

Ne fut quelqu'un, ni quelque chose.
Son naturel était la pose.
Pas poseur, posant pour l'unique ;
Trop naïf, étant trop cynique ;
Ne croyant à rien, croyant tout.
- Son goût était dans le dégoût.

Trop cru, - parce qu'il fut trop cuit,
Ressemblant à rien moins qu'à lui,
Il s'amusa de son ennui,
Jusqu'à s'en réveiller la nuit.
Flâneur au large, - à la dérive,
Épave qui jamais n'arrive...

Trop Soi pour se pouvoir souffrir,
L'esprit à sec et la tête ivre,
Fini, mais ne sachant finir,
Il mourut en s'attendant vivre
Et vécut s'attendant mourir.

Ci-gît, - coeur sans coeur, mal planté,
Trop réussi - comme raté. »


J'ai lu Les Amours Jaunes dans l'édition qu'en a fait le Livre de Poche en 2003. Je veux faire une mention particulière au travail remarquable de Christian Angelet. Sa présentation et ses annotations de l'oeuvre sont précieuses et rendent
plus fascinante encore la découverte de Tristan Corbière et de ses amours Jaunes.

(*) extrait de « À la mémoire de Zulma - Vierge-folle hors Barrière et d'un Louis. Bougival, 8 mai. » - Page 73
(**) extrait de « Ça » - pages 51-52
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Les amours jaunes - Tristan Corbière.

Dans trois éditions, entre 1884 puis en 1888, Verlaine (1844-1896) publie un ouvrage « Les poètes maudits » dans lequel il rend hommage au Parnasse et à quelques autres poètes dont lui-même, caché sous un pseudonyme de Pauvre Lelian, et à Rimbaud notamment. L'expression remonte au romantisme et désigne des poètes incompris de leur vivant à cause de leurs textes difficiles et qui, rejetés par la société, se comportent d'une manière scandaleuse, dangereuse voire autodestructrice. On pense évidemment à Rimbaud. Dans cette liste il révèle le nom de Tristan Corbière, en réalité Edouard-Joachim dit Tristant (1845-1875), poète breton, épris d'aventures maritimes, complètement inconnu de son vivant, proche des symbolistes et auteur d'un seul recueil de poèmes « Les amours jaunes » publié à compte d'auteur en 1873 mais réédité en 1891. Mort à vingt neuf ans, il eut une enfance bourgeoise (il est le fils d'Édouard-Antoine Corbière, romancier et marin), voyageuse mais difficile, marquée par la maladie qui l'obligea à arrêter ses études, mena une vie parisienne marginale, solitaire, mélancolique et misérable. Il rencontra une petite actrice parisienne, Armida Josefina Cuchiani qui devint sa muse et qu'il nomme bizarrement « Marcelle », cigale italienne qui était la maîtresse du comte Rodolphe de Battine, et à qui il dédit deux poèmes éponymes qui encadrent le recueil et s'inspirent de la fable De La Fontaine. Il semblerait qu'elle ait été une femme volage qui maintint Corbière en dehors de sa vie et se refusa à lui, ne lui laissant que les pensionnaires du bordel qu'il nomme « cocotes ». Sous sa plume, la femme sera toujours associée à la nuit, cachée derrière le masque de l'hypocrisie, une sorte d'être un peu mystérieux, accessible mais lointain et vénal.
Ce titre est énigmatique, évoque peut-être la couleur de la trahison ou peut-être l'envie de rire(jaune) de lui-même qui est un être incompris et de ses échecs amoureux dus à sa laideur (« Le crapaud »), les villageois le surnommant «l' Akou » , la mort. L'ouvrage se présente d'une manière un peu hétéroclite en 7 parties, « Ça », « Les amours jaunes », « Sérénades des sérénades », « Raccrocs », « Armor », « Gens de mer », « Rondels pour après » en tout une centaine de poèmes. Corbière s'inspire de la ville, des rues, de la Bretagne et de ses légendes, de la mer, des marins. Sur le plan de la forme, la ponctuation est hachée, faite de tirets, de points d'exclamation et de suspension ce qui lui confère un rythme irrégulier, il use d'onomatopées, de l'argot mais aussi de mots latins, anglais, espagnols ou italiens, déstructure le sonnet (« Le crapaud »), pratique la rime, parfois un peu facile, adopte l'alexandrin mais en malmène la césure, fait des répétitions. On a l'impression d'une écriture quasi automatique (c'est sans doute pour cela que les surréalistes aimèrent Corbière), heurtée, brute, de laquelle il ressort un aspect tragique, une sorte de mal-être exprimé ainsi par un homme qui se sent exclu du monde, qui combat et exorcise ainsi cette solitude. Il y a, dans son écriture, une dimension spontanée et cathartique exceptionnelle.

L'art est pour l'homme une façon de témoigner de l'idée qu'il se fait de sa vie, de la partager avec le reste du monde et cela lui attire soit la notoriété, la critique ou pire l'indifférence de ses contemporains. Il le fait dans l'imitation des ses maîtres ou dans la volonté de faire évoluer les choses, de renverser la table, de marquer son passage sur terre, de s'inscrire en faux face aux courants littéraires de son époque. Corbière, qui n'a sûrement pas aimé sa vie et qui ne s'est sans doute pas aimé lui-même, a exprimé à sa manière toute la révolte et la violence qu'il portait en lui et, à titre personnel, je respecte cette voix d'autant qu'elle n'a vraiment résonné qu'après sa mort. Son cri est celui de la désespérance.
En ce qui me concerne, je demande à l'art en général et à la poésie en particulier, de me procurer ce petit supplément d'âme et d'émotion intime qui fait que je m'attache à un artiste à raison de ce qu'il nous a laissé en héritage. Corbière a pratiqué la sincérité et même l'impulsivité sans souci des règles de la prosodie et je retiens cela, mais je ne rencontre pas dans ses poèmes la couleur et la musique qui d'ordinaire me parlent et m'émeuvent.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com
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Poésie hachée, drolatique, jeux de mots et chansons marines, qu'est-ce donc que tout cela ? Corbière se situe à ce moment critique où l'on tue une poésie de l'intérieur pour mieux la métamorphoser. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Il y a du Baudelaire dans Corbière, mais du Baudelaire saucissonné par une ponctuation envahissante, qui l'empêche de déployer son lyrisme pour lui préférer la saccade, la brisure, les aboiements des chiens aimés et les planches craquantes des vieux bateaux.

La rupture avec le souffle romantique est faite. le télégramme devient poème, "télégramme sacré" dans lequel de nombreuses voix prennent la parole, histoire de briser un peu plus encore la monodie du poète lyrique solitaire, dont le discours devient multiple parce que regardé de l'intérieur avec ironie ou cynisme, comme si le fait même d'être poète était une malédiction qui tombait sur quelques loupés, qui rêvent d'être "chien de fille publique" ou "fou, mais pas à moitié" mais qui ne restent que poètes, gens de lettres qui forment bien leurs lettres mais pour rien. Corbière vide la poésie pour l'enrichir. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas.
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S'il est un poète maudit, c'est bien Tristan Corbière. Mort à 30 ans (1845-1875) dans sa Bretagne natale, incomparablement seul, incomparablement inconnu...
Lien : http://www.denecessitevertu...
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Les Amours jaunes en disent long de part le titre. Tristan Corbière aime la contre-danse, la contre-rime, tantôt sur un pied, tantôt en déséquilibre. Il faut attraper la queue de la phrase, se l'approprier, la faire sienne. Inclassable, ce poète, génial créateur du bossu bitor, vous entraîne dans un monde doux-amer, une aventure où les naufrages ne sont jamais loin.

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