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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La Place Royale ou l'Amoureux extravagant, cette pièce est sans doute créée en 1634 par la troupe du Marais avec laquelle Corneille a débuté sa carrière. Elle a eu du succès. La pièce est publiée pour la première fois en 1637, après la fin décidée par le cardinal de Richelieu de la querelle du Cid, dans laquelle l'Académie a condamnée Corneille. Ce qui n'empêche pas ce dernier d'être persuadé d'avoir raison, et à ironiser sur les théoriciens qui ne mettent pas en pratique leurs préceptes pour convaincre le public sur les planches.

La Place Royale (l'actuelle Place des Vosges) était à l'époque le dernier quartier à la mode, celui où des jeunes gens à la page pouvaient se croiser, se rencontrer. Corneille exploite toujours cet intérêt du public pour des lieux qu'il connaît, comme il l'avait fait dans La galerie du Palais. C'est la dernière de la série de comédies qui ont marquées ses débuts, il ne reviendra plus que de façon épisodique au genre qui lui a permis ses premiers succès.

Cette pièce contredit une des lois fondamentales du genre, parce qu'elle ne se termine pas par le mariage des personnages principaux. C'est une transgression très forte, Molière osera la même dans son Misanthrope.

Pour justifier cette transgression, Corneille a été amené à bâtir un personnage qu'il appelle « extravagant », Alidor. C'est le caractère, de ce personnage qui doit justifier aux yeux des spectateurs ce dénouement inattendu. Et comme Corneille fait toujours très bien les choses, son Alidor est d'une très grande complexité, au point d'avoir suscité depuis sa création un nombre d'interprétations et de lectures énorme. Je ne vais pas résumer, juste évoquer quelques façons de le voir qui m'intéressent le plus.

Donc Alidor est amoureux d'Angélique, qui l'aime totalement sans se poser de questions. Mais Alidor ne veut pas perdre sa liberté, épouser Angélique serait s'aliéner, s'imposer des contraintes. Il décide donc de la faire épouser par son meilleur ami. Il fait remettre à Angélique une lettre prétendument adressée à une autre à laquelle il déclare sa flamme en dénigrant Angélique. Cette dernière, désespérée se résout à épouser Doraste, le frère de sa meilleure amie, Phylis. Ce qui déplaît à Alildor, il est jaloux de Doraste et mécontent de ne pas « donner » Angélique à Cléandre, comme il l'avait décidé. Il revient donc vers sa bien aimée, et la persuade de se laisser enlever la nuit même. Il envoie Cléandre à sa place, mais ce dernier abusé par l'obscurité enlève par erreur Phylis. Angélique est très choquée lorsqu'elle comprend les plans d'Alidor. Cléandre suite à l'enlèvement, tombe amoureux de Phylis, et les parents de cette dernière acceptent de la marier avec lui. Ce qui donne quand même un mariage à la fin de la pièce, car Angélique très déçue et malheureuse, refuse la demande de mariage tardive d'Alidor et préfère se réfugier dans un couvent.

Comme dans ses pièces précédentes, il y a une vraie cruauté dans cette comédie, plus amère que douce ou drôle. La cruauté est une caractéristique de la personnalité d'Alidor, il joue au chat et à la souris avec Angélique, et il joue avec ses propres sentiments. D'une certaine façon le grand amour simple d'Angélique ne laissant aucune incertitude, il se créé lui-même des contrariétés dans son amour, qu'il s'agit ensuite de surmonter. Il finit d'ailleurs par se sentir tout puissant et pense pouvoir retourner Angélique à sa guise, décider de tout ce qui arrive ; lorsque la réalité contredit ses plans, il en tout vexé, et essaie de reprendre la maîtrise de la situation par n'importe quel moyen.

Un autre personnage qui est vraiment passionnant est Phylis. Elle est une sorte de pendant à Alidor, qui est amoureux d'une jeune fille, tout en ne voulant pas l'être, car l'amour est une limite, un frein. Phylis quand à elle, est toujours prête à flirter avec tous les jeunes gens, mais n'est amoureuse de personne, puisque de toutes les façons, ce seront ses parents qui choisiront son mari, et qu'elle n'aura pas grand-chose à dire. Donc plutôt que de se rendre malheureuse, autant accepter l'inévitable et en tirer le meilleur parti, et surtout éviter de souffrir. Elle réalise donc le projet d'Alidor, l'amour ne n'aliène en aucune sorte, elle n'a pas de passion susceptible de la faire souffrir. Ce qui est une sorte d'idéal dans la philosophie antique, stoïcienne surtout, l' apatheia ( l'absence des passions) ou la suffisance à soi-même des épicuriens, sont les compléments de l'ataraxie, l'absence de trouble, condition du bonheur. Et Phylis est naturellement un personnage heureux.

Alors qu'Alidor, même s'il revendique cette suffisance à soi-même, est parcouru de passions. On dirait même qu'il a besoin de ressentir des émotions fortes, et qu'il fait ce qu'il faut pour se les procurer. Il est traversé par l'amour, mais aussi par le goût de la manipulation, de la domination, du pouvoir sur les autres. Même s'il traite les autres comme des jouets, il en a besoin, pour justement sentir la maîtrise qu'il exerce.

C'est vraiment une pièce très forte, et elle semble maintenant montée assez régulièrement depuis quelques années. J'espère que cela annonce un regain d'intérêt pour les comédies de Corneille en général.
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