Citations sur L'homme à l'affût (23)
Je vais raconter le truc du métro à Bruno. L'autre jour j'ai parfaitement compris ce qui se passait. J'étais en train de penser à ma vieille, à Lan, aux copains et, au bout d'un moment, j'ai eu l'impression que je me promenais dans mon quartier et que je voyais les gars qu'il y avait à cette époque. Mais ce n'était pas vraiment penser, je crois que je t'ai déjà dit que je ne pense jamais. C'était comme si j'étais planté à un coin de rue en train de regarder passer ce que je pensais, mais sans penser ce que je voyais, tu saisis? Jim dit que c'est pareil pour tout le monde, qu'en général personne ne pense pour son propre compte…
ça, je suis en train de le jouer demain, c’est horrible, Miles, ça, je l’ai déjà joué demain.
C'est toujours la même chose, me voilà heureux de nouveau pouvoir penser que les critiques sont beaucoup plus nécessaires que je ne suis moi-même porté à la croire (en privé) ; les créateurs, eux, depuis l'inventeur de la musique jusqu'à Johnny, sont bien incapables de tirer les conséquences dialectiques de leur oeuvre, de postuler les raisons et la transcendance de ce qu'ils écrivent ou improvisent.
C'est surtout ton bon Dieu que j'ai sur l'estomac, murmure Johnny. Viens pas me faire braire avec ça, je le permettrai pas.
Et s'il est vraiment de l'autre côté de la porte, je m'en fous. On n'a aucun mérite à passer de l'autre côté de la porte si c'est lui qui t'ouvre.
Ah! Si on pouvait l'enfoncer à coups de pied, cette porte, ça oui, ce serait quelque chose.
Démolir la porte à coups de pied, éjaculer contre la porte, pisser un jour entier contre la porte.
Ce soir là, à New-York, j'ai cru que je l'avais ouverte avec ma musique, mais il a bien fallu m'arrêter, alors le salaud me l'a refermée au nez, tout ça parce que j'ai jamais prié pour lui et que je prierai jamais.
Je ne veux rien savoir, moi, de ce portier en livrée, de ce groom qui ouvre les portes si on lui glisse un pourboire, de ce...
Deux des gars qui font partie du nouveau quintette de Johnny passeront près de nous et j'en profiterai pour leur demander comment ça a marché hier soir ; j'apprendrai que Johnny pouvait à peine jouer mais que ses quelques notes valaient toutes les improvisations d'un John Lewis.
Et je me demanderai jusqu'où va pouvoir tenir Johnny et surtout le public qui croit en Johnny.
BaBy m'accablera de questions et je finirai par expliquer à BaBy, que Johnny est malade et fichu, que les gars de son quintette en ont de plus en plus marre et que ça va craquer un de ces quatre matins comme ça a déjà craqué à San Francisco, à Baltimore et à New-York, une demi-douzaine de fois.
Johnny a sorti une de ses longues mains maigres de sous la couverture et j'ai senti la tiédeur flasque de sa peau.
Alors Dédée a dit qu'elle allait préparer des nescafés. Cela m'a fait plaisir de voir qu'ils avaient au moins une boîte de nescafé.
Quand on a une boîte de nescafé, on est pas tout à fait dans la misère, on a encore de quoi tenir.
Tu sais cette histoire des choses élastiques, c'est très bizarre, c'est un machin que je sens partout. Tout est élastique, mon vieux, et les choses qui paraissent dures, c'est qu'elles sont d'une élasticité ... retardée.
mais ce n'était pas vraiment penser, je crois que je t'ai déjà dit que je ne pense jamais. C'était comme si j'étais planté dans un coin de rue en train de regarder passer ce que je pensais, mais sans penser ce que je voyais, tu saisis ? Jim dit que c'est pareil pour tout le monde, qu'en général personne ne pense pour son propre compte.
Ça, je l'ai déjà joué demain
En réalité, je n'avais jamais pensé qu'il pût lire mon livre. L'art incomparable de Johnny. Que pouvais je dire de plus ? Mais c'est peut-être justement à ce tournant qu'il m'attend, à l'affût comme toujours ramassé sur lui-même, prêt à faire un de ces bonds qui risquent toujours de blesser l'un de nous. Honnêtement, que m'importe sa vie ? La seule chose qui m'inquiète c'est qu'en se laissant mener par ce genre d'existence que je ne peux pas suivre, disons que je ne veux pas suivre, il ne finisse par contredire les conclusions de mon livre, par laisser entendre une ou deux fois que sa musique n'est pas ce que je dis.