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Laure Bataillon (Autre)Françoise Rosset (Autre)
EAN : 9782070291342
602 pages
Gallimard (03/12/1979)
4.14/5   257 notes
Résumé :
"Marelle est une sorte de capitale, un de ces livres du XXe siècle auquel on retourne plus étonné encore que d'y être allé, comme à Venise. Ses personnages entre ciel et terre, exposés aux résonances des marées, ne labourent ni ne sèment ni ne vendangent : ils voyagent pour découvrir les extrémités du monde et ce monde étant notre vie c'est autour de nous qu'ils naviguent. Tout bouge dans son reflet romanesque, la fiction se change en quête, le roman en essai, un tr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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Me voilà perdu.

J'étais parti avec une paire de dés nacrés de belle qualité ;
un joli crayon de bois, pas trop gras ;
une gomme blanche, bien propre ;
j'avais en réserve quelques dés singuliers, comme cet octaèdre, brillant de ses huit faces…

Un défi fantastique à relever, ce « Livre dont vous êtes le héros », premier du genre, parent littéraire du fameux « Labyrinthe de la Mort », ou autres aventures du Loup Solitaire…
Sauf que celui-ci n'a pas de règles bien établies.

On ne peut pas tricher — garder le doigt sur la page précédente, afin d'y revenir si la mort, cette abrupte fin, se présente après un mauvais choix — il faut juste choisir si l'on veut le lire dans sa linéarité, ou bien plutôt suivre ses renvois au gré d'une apparente anarchie.

J'avais opté pour la seconde solution, tout en parfois l'oubliant, continuant sur ma lancée au chapitre d'après, usant de petits marque-pages colorés afin de m'y retrouver… jusqu'à ce que ceux-ci se volatilisent sans raison, emportant avec eux dans le void leur code numérique, leur reste de sens perdu, petits cailloux semés sans peur de mourir de faim, juste pour voir jusqu'où l'on pouvait aller avec la liberté.

Je vous renvoie donc illico vers la critique de mon ami chauve-souris-mouton — démontrant encore une fois que la langue anglaise est un meilleur outil d'adaptation, voire d'hybridation — batlamb nous pondant un agréable pastiche, lui qui en a trouvé la sortie.

Je pense de mon coté avoir lu trois fois certains chapitres, et en garder beaucoup d'inconnus. le problème étant que je ne sais plus m'y retrouver, et qu'il faudra sûrement recommencer, de manière plus académique.

Je déconseille formellement toute désinvolture à la lecture de ce livre.
On ne court pas deux lièvres (de Patagonie) à la fois.

Voilà, j'ai fait un 6.

P.S. : (il y aura peut-être une suite, quand j'aurais retrouvé…)
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Cette critique est en fait deux critiques. La première se lit comme se lisent les critiques d'habitude et finit au segment 10, là où trois jolies petites étoiles équivalent au mot Fin.

Après quoi, le membre peut laisser tomber sans remords ce qui suit. La seconde critique se lit en suivant la lecture dans l'ordre indiqué en fin de segment. Ou alors dans le désordre.
I. de l'autre côté
Avant d'entrer dans Rayuela, cette expérience littéraire unique, il faut oublier les contes et nouvelles de son auteur, il faut oublier beaucoup de choses à vrai dire, à commencer par comment lire un roman. Mais avant ça encore, il faut accepter la déroutante expérimentation : pourquoi l'auteur n'a-t-il tout simplement pas écrit son livre comme il recommande de le lire? Bien, mais quel ordre adopter? En tant que lecteur, vais-je vraiment ignorer 99 chapitres, soit 226 pages sur 590? Parce qu'en tant que lecteur, nous ne sommes pas programmés à lire de cette façon et Cortázar nous invite à nous déprogrammer, à nous abandonner dans son labyrinthe dont seuls les Argentins semblent avoir le secret. (-21)

Loin de ses contes et nouvelles, Cortázar se fait érudit et essayiste, guérillero et antiromancier (contreromancier?). Un roman, c'est souvent une intrigue. Ici, il ne se passe pas grand-chose. Les personnages ne font pas grand-chose, mais qu'est-ce qu'ils en disent des choses. Des choses pompeuses, risquant de faire passer l'auteur pour un écrivain prétentieux, et surtout ennuyeux, parce qu'il nous ennuie et nous fait soupirer. Cortázar se moque-t-il du lecteur? Ou au contraire respecte-t-il son intelligence, en lui faisant confiance pour qu'il trouve le chemin entre les mots? Au final, peut-être que ce sont de ses personnages dont Cortázar rit le plus, et il nous invite à faire de même entre deux soupirs, à travers un certain apprentissage. On devient comme La Sybille, cette femme ignorante, objet de désir du personnage central Horacio Oliveira, qui a soif d'apprendre, même si elle ne comprend pas toujours. (-13)

La relation physique avec l'objet-livre est une part du périple : aller et venir, ne pas savoir se situer, perdre pied, ignorer le progrès, lever les yeux aux pieds d'un gratte-ciel et ne pas en voir le sommet jusqu'à nous donner le vertige depuis la terre, nager dans un lac au milieu d'une brume masquant les rivages, sous un ciel plein d'étoiles comme seuls repères, tels les numéros de chapitres. Cortázar ajoute des jeux de miroirs dans ses fragments. L'infini prend le pas sur l'idée de fin et le désordre devient l'ordre. (-26)

Rayuela, jeu de miroirs et des dualités : Paris/Buenos Aires — Roman/essai — Oliveira/Traveler — La Sybille/Talita — Morelli/Cortázar. À la croisée d'un chemin, choisir celui qui nous mènera au centre, entre nostalgie et espérance, inertie et quête. Parfois, il s'agit simplement de construire soi-même un pont, sans tenir compte des échecs récurrents. Horacio Oliveira, âme errante, cherche son kibboutz, poussant son caillou entre terre et ciel, les deux au même niveau du trottoir, se maintenant à flots contre vents et marées, contre la chute. Rayuela, roman surréaliste et existentialiste. (-24)

À travers l'écrivain Morelli et ses morelliennes, le livre parle de lui-même, de sa volonté d'ordre et de désordre. La partie essai évoque ce que Rayuela tente d'accomplir au sein de la littérature. Cela donne une double impression : celle d'avoir droit à des commentaires comme sur un Blu-ray, ou de voir le livre se construire magiquement entre nos mains, de la théorie à la pratique fictive d'abord (quand les personnages découvrent le livre de Morelli) puis réelle (lecteur avec Rayuela entre les mains), chapitre après chapitre, brique après brique, érigeant cette tour de Babel labyrinthique, avec quelques hiéroglyphes pour éclairer l'audacieux visiteur, entre jeu et folie. Ne passons-nous pas d'un cirque à un asile psychiatrique dans la seconde partie ? (-22)

II. de ce côté-ci
Cette conscience que l'on pourrait qualifier de méta (con)centre la littérature au coeur de l'oeuvre : il n'y a qu'à voir ces citations d'Artaud, Musil, Lowry, Bataille, etc. comme si ces auteurs venaient s'insérer dans Rayuela pour l'agrandir encore et encore, comme une bibliothèque de Babel, un livre en amenant toujours un autre. Les citations côtoient des bribes d'Almanach, de coupures de presse et d'études, extraits de plaidoiries, de discours et de chansons… Fragments inutiles ou potentielles clés, comme nos existences d'individu/lecteur en regorgent. (-25)

« L'explication est une erreur bien habillée. » dit Oliveira, pourtant, Rayuela est une armée de perches tendues pour analyse, une vraie fashion week d'erreurs possibles. Inutile de s'étendre, une tentative d'analyse serait un risque de passer à côté… Restons en survol ici et affirmons l'évidence : la prose de Cortázar est divine. En lisant ses nouvelles, je ne soupçonnais pas qu'il était capable d'une telle puissance stylistique, à tomber. Rayuela possède une force poétique renversante, rappelant celle de Lautréamont (d'ailleurs, Cortázar a lui-même traduit Lautréamont en espagnol, et le personnage de la Sybille est une Uruguayenne de Montevideo, lieu de naissance de Ducasse). le spectre de Lautréamont semble planer sur la marelle. (-18)

Cortázar s'amuse follement formellement, presque joycement pourrait-on dire, allant jusqu'à élaborer une langue créée par les amants (chapitre 68), et il y a le fameux chapitre 34 qui se lit une ligne sur deux, une lecture étant le livre lu par le personnage, l'autre ses pensées. Quant au motif de la marelle, il revient sous plusieurs formes, caractérisant tantôt l'enfance tantôt la folie. Un apprentissage ou une lutte de territoire. Ainsi, Oliveira se retrouve sans cesse tiraillé, jamais satisfait, sur un pont qui surplombe « des fleuves métaphysiques » où nage La Sybille, celle qu'il aime tout en se le niant. (-23)

À l'instar de William Gaddis, Julio Cortázar ne nourrit pas un lecteur passif, mais mise bien sur son entière collaboration. Aussi, comme Morelli, cet écrivain fictif, double de l'auteur, Cortázar veut transgresser le livre, le mot, « parfois dans ce que le mot transmet ». Alors il y va avec ses armes secrètes pour tout exploser, mettre le désordre, un désordre qui deviendra ordre, avant qu'un autre homme de lettres y sème à son tour le chaos : « Morelli veut sauver quelque chose qui est en train de mourir mais pour le sauver il faut le tuer d'abord ou du moins lui faire subir une telle transfusion de sang que ce soit comme une résurrection. » (-16)

Rayuela montre de quoi est capable la littérature en la niant pour mieux la glorifier. L'auteur comme ses personnages comme le lecteur y pousse son caillou, de la vie bohème de Paris à la chaleur gelée de Buenos Aires : des ponts, des fleuves métaphysiques, du jazz, et surtout du maté. On erre dans cette marelle à la recherche de quelque chose, d'un centre, d'un « kibboutz du désir », d'amour, tout cela au son des grands jazzmen ou des Amoureux du Havre, éternelle chanson de la Sybille. Quant à l'avenir, le lecteur, lui, sait qu'il devra replacer la pointe du saphir sur les sillons du disque pour découvrir si la musique sera la même ou non, si les notes résonneront de la même façon, et si lui, le lecteur-voyageur, raisonnera comme la première fois. (-20)

/ * / * / * /

III. de tous les côtés (fragments dont on peut se passer)
« Ce que j'écris en ce moment, ce sera (si je le termine un jour) quelque chose comme un antiroman, une tentative de casser les moules où se pétrifie le genre. Je crois que le roman « psychologique » touche à sa fin, et que si nous devons continuer à écrire des choses qui vaillent la peine, il faudra changer de cap. le surréalisme en sont temps a balisé quelques chemins, mais en est resté à un stade pittoresque. Il est certain que nous ne pouvons plus nous passer de psychologie, de personnages minutieusement explorés ; mais la technique de Michel Butor et des Nathalie Sarraute m'ennuie profondément. Ils se contentent d'une psychologie extérieure, même s'ils croient aller au plus profond. le fond d'un homme, c'est ce qu'il fait de sa liberté. C'est par là qu'on arrive à l'action et à la vision, au héros et au mystique. Je ne veux pas dire que le roman doive poursuivre ce genre de personnages, car les seuls héros et mystiques intéressants sont les vivants et non ceux qu'invente un romancier. Ce que je crois, c'est que la réalité quotidienne dans laquelle nous pensons vivre n'est que la lisière d'une fabuleuse réalité à reconquérir, et que le roman, comme la poésie, l'amour et l'action, doivent essayer de pénétrer dans cette réalité-là. Toutefois, et voilà l'important : pour casser la coquille d'habitudes et de quotidien, les outils littéraires usuels ne servent plus. Pensez au langage qu'a dû employer Rimbaud pour se frayer le chemin de son aventure spirituelle. Pensez à certains vers des Chimères de Nerval. Pensez à certains chapitres de Ulysses. Comment écrire un roman alors qu'il faudrait d'abord dés-écrire, désapprendre, part « à neuf », de zéro, être un préadamite, pour ainsi dire? Mon problème, aujourd'hui, est un problème d'écriture, parce que les outils qui m'ont permis d'écrire mes contes ne me servent plus à rien pour réaliser ce que je voudrais faire avant de mourir. » (Cortázar, lettre du 27 juin 1959 à Jean Barnabé) (-2)

Une chose est certaine, il faut saluer la prouesse de traduction de Laure Guille-Bataillon. Si Infinite Jest avait été en espagnol, elle aurait été la femme de la situation. (-4)

Je repensais souvent à cette scène aquatique de L'Atalante en pensant à Horacio et La Sybille. (-3)

« Ce qui donne, je crois, son efficacité à Rayuela, l'impact parfois terrible qu'elle a sur beaucoup de lecteurs, c'est autre chose : c'est ce qui vient du dessous, les épisodes irrationnels, les hissements à des dimensions où l'intelligence est comme un nageur sans eau. […] En réalité, sans ces sous-jacences, qui sont pour moi la seule chose qui compte vraiment dans le livre, j'aurais écrit un roman « intelligent » de plus.» (Cortázar, lettre du 7 janvier 1964 à Graciela de Sola) (-6)

Cette semaine, le 26 août 2015, c'était le 101e anniversaire de Julio Cortázar: ¡feliz cumpleaños, señor Cortázar! (Accessoirement le jour où j'ai terminé de lire Rayuela). (-20)

« Les mots, qui s'en soucie? Ce ne sont que des bruits appris par coeur, pour franchir la barrière des os dans la mémoire des acteurs. C'est dans cette tête qu'est la réalité. Dans ma tête. Je suis le projecteur dans le planétarium, avec tout ce petit univers fermé visible dans le cercle de cette scène qui jaillit de ma bouche, de mes yeux et, parfois, d'autres orifices également. » — Thomas Pynchon, Vente à la criée du lot 49, 1966 (-19)

Rayuela, compagnon d'errance et de pèlerinage, de Montréal à Paris... le commencement. (-5)

Compagnon de pèlerinage étape 1 : 4, rue Martel, 10e arrondissement. (-8)

Compagnon de pèlerinage étape 2 : Au cimetière Montparnasse. (-10)

Le maté (en espagnol, mate) ou chimarrão est une infusion traditionnelle issue de la culture des Amérindiens Guaranis consommée en Argentine, au Chili, au Paraguay, en Uruguay, au Brésil méridional et en Bolivie (Amérique du Sud). (-15)

« Un écrivain argentin a même déclaré que c'était une folie d'écrire des livres. Mieux vaut faire semblant que ces livres existent déjà. Il faut juste en offrir un résumé, un commentaire... Est-ce qu'un sourire idiot vient de l'idiot ou est-ce qu'il a été inventé pour l'idiot ou alors contre lui. Si l'idiot sourit c'est qu'il garde espoir... Il se souvient qu'autrefois dans le vide, l'acte le plus humble d'héroïsme ou d'amour n'était pas moins mystérieux que le supplice. Dans le vide, la moindre création devient miracle. » – Jean-Luc Godard, Soigne ta Droite, 1987 (-11)

La Lectrice soumise, René Magritte, 1928 (-14)

Rayuela fait partie de ces romans devant être domptés à l'instar des oeuvres de Joyce ou Gaddis. Plus exigeant qu'un Perec, il se révèle vite aussi joueur. Cortázar brise le miroir que représente souvent un livre pour le lecteur, et ce lecteur verra dans chaque éclat, quelque chose de différent s'y réfléchir. (-9)

Jouons à la marelle. Oui, jouons au jeu de la marelle. (-17)

En élaborant cette critique basée sur le même concept que Rayuela, au-delà de vous donner une idée du concept, je tente d'appréhender le processus de l'autre côté du miroir, pour mieux comprendre le livre, et peut-être l'écrivain. (-7)

« le désordre triomphait et courait à travers la maison, les cheveux emmêlés et pendants, les yeux vitreux, les mains pleines de jeux de cartes incomplets, de messages sans en-tête et sans signature et, sur les tables, des assiettes de soupe refroidissaient, le sol était jonché de pantalons, de pommes pourries, de bandes tachées. Et tout cela soudain grandissait et c'était une musique atroce, plus atroce encore que le silence feutré des maisons bien cirées de ses irréprochables parents, et alors, au milieu d'une grande confusion où le passé était incapable de retrouver un bouton de chemise et où le présent se rasait avec des morceaux de verre faute de pouvoir retrouver un rasoir enterré dans un pot à fleurs, au milieu d'un temps qui s'ouvrait comme une girouette au premier vent venu, un homme respirait à perdre haleine, se sentait vivre jusqu'au délire dans cet acte même de contempler la confusion qui l'entourait et de se demander si tout cela avait un sens. Tout désordre se justifiait s'il cherchait à sortir de lui-même, par le chemin de la folie on pouvait peut-être atteindre une raison autre que celle dont l'absence est la folie. « Aller du désordre à l'ordre, pensa Oliveira. Oui, mais quel ordre peut bien être celui qui ne ressemble pas au plus néfaste, au plus terrible, au plus incurable des désordres? L'ordre des dieux s'appelle cyclone ou leucémie, l'ordre du poète s'appelle antimatière, espace dur, fleur de lèvres tremblantes, mamma mia, quelle snorbia j'ai, il faut que j'aille au lit tout de suite. » La Sybille pleurait, Guy avait disparu, Étienne discutait avec Perico, Gregorovius, Wong et Ronald regardaient un disque qui tournait lentement, trente-trois tours et demi par minute, ni un de plus ni un de moins, et dans ces tours-là, Oscar's Blues, par Oscar lui-même au piano, un certain Oscar Peterson, un certain pianiste triste et gros, un type au piano et la pluie sur les vitres, de la littérature, quoi. » (-12)
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Vous pouvez lire ceci linéairement, ou bien, si vous avez envie d'avoir le tournis, suivez les numéros de renvoi à la fin des paragraphes. À vous de choisir !

De l'autre côté :

1 Julio Cortázar ne cachait pas sa fascination pour les flâneries urbaines. Avec le corps, c'est l'esprit qui déambule, qui se laisse happer par les signes de la ville pour divertir sans cesse le cours de ses pensées. (-19)

2 Ainsi ce livre nous suggère-t-il d'emprunter des chemins en zigzag, loin d'une lecture linéaire, et ce vingt ans avant la vogue des Livres Dont Vous Êtes le Héros. (-14)

3 le héros ici, c'est avant tout le mouvement qui est tracé dans la ville virtuelle, littéraire, au fil des sauts entre les pages. Et ce mouvement trace une figure, dans tous les sens du terme. (-22)

4 Alors la ville est-elle une abstraction, un modèle, un mandala ? Ou une mandale de la pianiste Berthe Trépat ? Est-elle le rêve éveillé du promeneur qui marche en elle et qui pense à une autre ville, devenant ainsi un autre homme que celui qui discute au sein d'un club littéraire ? (-17)

5 La marelle concilie bon nombre de contradictions, car elle peut se tracer sur le bitume crasseux de la ville. C'est le seul endroit où l'on atteint le ciel en faisant le trottoir. Mais est-ce toujours possible quand on comprend cela trop tard, alors que l'enfant a déjà disparu ? (-12)

6 Avec sa construction hybride, mi-roman, mi-essai, Marelle se laisse contempler comme un chantier en cours, ou bien un miroir où se reflète la figure de l'écrivain Morelli, double de Cortázar. Mais aussi celle d'Oliveira, qui est également un argentin expatrié, flâneur des deux rives, chercheur de passages. Ses flux de conscience entremêlent la perception du réel et les pensées à moitié détachées de ce dernier, qui cheminent au hasard vers on ne sait où. Cela donne de longues « phrases zen », comme des jets d'encre destinés à obfusquer autant qu'à esbaudir, dignes des solos d'un saxophoniste fou à la Lost Highway, car le jazz a un rôle important dans ce roman : c'est la mise en branle qui entraîne vers le dédoublement, ou encore vers le kibboutz du désir, un lieu dont le sens n'apparaît que dans le sillage de la musique qui l'a impulsé. (-18)

De ce côté-ci :

7 Mais comme tous les doubles du réel, ce kibboutz du désir s'avère utopique. de même, une fois dédoublée, la femme désirée (la Sibylle / Talita) devient inaccessible. « You'll never have me », comme disait une héroïne de David Lynch. (-13)

8 Devant cette impossibilité, les efforts pour atteindre le ciel se muent en tentatives désespérées pour sauter hors des cases de la marelle, pour attaquer la littérature de l'intérieur. Partir de la forme, car on n'a pas d'autre choix, mais sortir de la forme, hors de la littérature. Partir du moyeu de la roue mais prolonger le mouvement des rayons (de chaque rayon !) hors de la roue elle-même. Et « Rayuela » rayonnera ? (-16)

9 Cette recherche de l'axe, du centre originel prend des allures d'évolution à l'envers : « Un homme devrait être capable de s'isoler de l'espèce au coeur de l'espèce, et choisir le chien ou le poisson original comme point de départ initial de marche vers lui-même » ; « dans l'insanité est le ferment, (…) l'aboiement du chien est plus proche de l'oméga qu'une thèse sur le gérondif dans Tirso de Molina » : revenir au chien, à la folie, afin de trouver la distance nécessaire pour prendre son élan. On peut penser aux chiens fous du premier chant de Maldoror, oeuvre que Cortázar a traduite et citée abondamment (y compris dans ce roman)… et dont l'auteur est né à Montevideo, ville d'origine de la Sibylle, l'amante disparue qui parvient au centre fuyant par l'instinct plutôt que par l'intellect. (-21)

10 La recherche oraculaire de la Sibylle de l'autre côté du miroir mènera donc forcément au cirque, à l'asile. Loin des constructions mentales qui nous emprisonnent, la folie indique une sortie sous la marelle, possible pierre tombale (de la littérature ?). Pour espérer entrapercevoir cet au-delà, oserez-vous (re)plonger dans ce livre lunatique ? (-15)

11 Un petit générique de fin signé David Bowie :
« I'm deranged
Deranged my love down down down
I'm deranged down down down
So cruise me babe cruise me baby (Beyond) » (-∞)

Fragments dont on peut se passer :

12 . Chez Cortázar, pour faire face au ciel, on s'enfonce dans le monde de la nuit, comme il l'indiquait déjà dans Fin d'un jeu. Cela peut mener jusque dans un au-delà sans retour. (-6)

13 « Pas d'échappatoire – pas de double : c'est cela qu'annonçait l'oracle à l'avance, et avec raison. »
Clément Rosset « le réel et son double ». (-8)

14 Lire Marelle nécessite de faire le plein de points d'HABILETÉ et d'ENDURANCE. Voire de CHANCE. C'est un texte qui se combat, au sens où Cortazar exige la participation du lecteur : il noie le poisson, change de registres et de styles d'écriture selon les chapitres, et surtout ne livre jamais de clés d'interprétation univoques. (-3)

15 « Il était dur de croire qu'une fleur peut être belle pour rien ; il était amer d'accepter qu'on puisse danser dans les ténèbres. » (-11)

16 Sans surprise, l'un des fragments de Marelle est une citation de Gombrowicz, ennemi juré de la forme. La Marelle est-elle vouée à l'auto-destruction ? (-9)

17 Ce club littéraire donne lieu à des passages très pédants, caricaturant les milieux intellectuels. Mais plutôt que considérer Marelle comme un roman pédant, on peut le lire comme un roman sur le pédantisme. Ou sauter les cases les plus indigestes. Hop ! Scotch ! (-5)

18 La nature double de Marelle s'établit aussi au niveau de la musique. La phrase débridée surgit du silence zen, et retourne également à ce silence, invitant le lecteur à la méditation d'une « oeuvre dont la première audition réelle n'est peut-être que le plus absolu des silences ». (-7)

19 Voir cette belle interview de Cortázar sur ses « constellations (senti)mentales » : https://www.youtube.com/watch?v=9uJaJOEl-oU (-2)

21 La Sibylle (la Maga en VO) pourrait être associée non pas à Apollon (comme c'est la tradition) mais à Hécate, déesse grecque de la magie et des lieux de passage, accompagnée de chiens noirs comme la nuit, qui hurlent à la nouvelle lune. (-10)

22 equivo-city. La ville possède plusieurs interprétations. Elle nous perd et nous rend confus dans ses rues labyrinthiques. (-4)
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Cette oeuvre novatrice satisfait avec une générosité inédite le goût de l'époque pour le collage, la discontinuité, l'ouverture, l'expansion du récit en sous-récits multiples. Marelle récupére également le regard surréaliste qui élève le hasard au rang de destin. La dimension ludique de Marelle, déjà induite par le titre, puis par les langues inventées (le gliglico que parle le protagoniste) et par le texte-puzzle à la construction duquel le lecteur est convié, produit une littérature réflexive et avant-gardiste qui porte haut le plaisir pur de la lecture, grâce à un humour très présent et un écueil élitiste toujours évité. Ce parti-pris pour le jeu révèle une volonté d'adapter à l'écriture des inventions plastiques que Cortazar jugeait susceptibles de subvertir le conformisme bourgeois
Ce roman, dont le premier titre envisagé était Mandala, est, sur le mode l'association surréaliste et de l'expansion mécanique, une métaphore de l'univers, le roman total et infini qui propose au lecteur de révolutionner ses habitudes de lecture.
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Je ne sais pas ce qui est le plus aventureux, entre lire "Marelle", ou en parler.

"Marelle" contient en réalité deux livres : le premier se lit, banalement, du chapitre 1 à 56. S'y déroule la singulière histoire d'amour qui unit l'argentin Horacio Oliveira à Sybille, l'uruguayenne au passé trouble, tous deux exilés dans le Paris des années 50, où l'on boit en écoutant du jazz, où l'on disserte des heures durant, entre membres du "Club", sur l'oeuvre de l'écrivain Morelli, consacrée à la quête d'un langage dont les mots cesseraient de trahir la réalité.
Le deuxième livre contenu dans "Marelle", se parcourt comme un labyrinthe dont Julio Cortázar vous donne le plan : vous y suivez les 155 chapitres dans un ordre non linéaire qu'il vous indique en début d'ouvrage, navigant entre intrigue et ... et quoi, d'ailleurs ? Et bien vous y trouverez pêle-mêle des articles de journaux, des extraits d'autres livres, des aphorismes parfois absurdement drôles -ou le contraire-, des transcriptions des analyses de Morelli sur sa quête littéraire -ou non littéraire, puisqu'il veut sortir de tout ce que la littérature a produit jusqu'à présent-, "troubler les habitudes mentales du lecteur (...), véritable et unique personnage qui l'intéresse, dans la mesure où un peu de ce qu'il écrit devrait contribuer à le modifier, à le faire changer de position, à le dépayser, à l'aliéner."

Était-ce également le but de Julio Cortázar, en nous invitant à cet étonnant jeu de piste, qui nous mène de la fiction à la réflexion métaphysique, du rire à la poésie, qui annihile la frontière entre les genres ?

Ce que je peux dire, c'est qu'il s'est agi pour moi d'une expérience de lecture prégnante et singulière, qui m'a donné dans un premier temps le sentiment de m'y noyer. Marelle est un long roman, parfois difficilement abordable, et le fait d'y progresser à l'aveugle était déstabilisant. Puis, à un certain moment, cette sensation s'est transformée. Plutôt que d'une noyade, j'avais l'impression d'une promenade étrange, qui durerait indéfiniment, mais dans laquelle j'avais accepté de m'installer sans me poser trop de question, observant avec curiosité le défilement apparemment chaotique des chapitres, rassurée et intéressée par le fil conducteur constitué par l'histoire d'Horacio.

Que me restera-t-il de cette lecture ? le souvenir de certaines scènes que l'écriture de Julio Cortázar, précise, profuse, et si belle, rend presque palpables. La mélancolie qui émane du personnage d'Horacio, qui semble se perdre dans une quête dont il ignore le but. Et surtout, j'aurais le souvenir de l'état dans lequel m'a plongée cette lecture, cette sorte de lâcher prise consistant à se laisser mener au coeur du livre, en acceptant de ne pas savoir combien de temps cela va durer, cette impression à la fois de subir et d'interagir...
Nul doute que "Marelle" fait partie de ces livres que je rouvrirais souvent, pour en relire certains passages au hasard.

Surtout, je réalise ma maladresse, et à quel point parler de "Marelle" n'est pas lui rendre justice. "Marelle" se vit, s'ingère, se découvre sans fin...
Lien : http://bookin-ingannmic.blog..
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
-Au fond, dit Gregovorius, Paris est une énorme métaphore.
Il tapa sur sa pipe, tassa un peu le tabac. La Sybille avait allumé une autre Gauloise et chantonnait. Elle était si fatiguée que cela ne la vexa même pas de ne pas comprendre la phrase. Comme elle ne posait pas précipitamment une question, selon son habitude, Gregovorius se décida à expliquer. La Sybille écoutait comme de loin, protégée par l'obscurité de la pièce et la cigarette. Elle entendait des choses isolées, le nom d'Horacio qui revenait, le désarroi d'Horacio, le vagabondage stérile des amis du Club, les bonnes raisons qu'ils se donnaient pour croire que tout cela pouvait avoir un sens. De temps en temps, une phrase de Gregovorius se dessinait dans l'ombre, verte ou blanche, parfois c'était un Atlan, parfois un Estève, puis un son, au hasard, tournait sur lui-même, s'épaississait, enflait comme un Manessier, comme un Wilfredo Lam, comme un Étienne, comme un Max Ernst. C'était amusant, Gregovorius disait : « Ils sont tous occupés à regarder ces routes babyloniennes, si je puis dire, et ... » et la Sibille voyait naître un Deyrolles resplendissant, un Bissière, mais déjà Gregovorius parlait de l'inutilité d'une ontologie empirique et soudain c'était un Friedlander, un Villon délicat qui réticulait la pénombre et la faisait vibrer, ontologie empirique, des bleus de fumée, des roses, empirique, un jaune clair, un creux où tremblaient des étoiles blanc pâle.
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Je pense aux gestes oubliés, aux multiples gestes et propos de nos ancêtres, tombés peu à peu en désuétude, dans l’oubli, tombés un à un de l’arbre du temps. J’ai trouvé ce soir une bougie sur une table, et pour m’amuser je l’ai allumée et j’ai fait quelques pas avec elle dans le couloir. Elle allait s’éteindre quand je vis ma main gauche se lever d’elle-même, se replier en creux, protéger la flamme par un écran vivant qui éloignait les courants d’air. Tandis que la flamme se redressait, forte de nouveau, je pensais que ce geste avait été notre geste à tous (je pensais tous et je pensais bien, ou je sentis bien) pendant des milliers d’années, durant l’Âge du Feu, jusqu’à ce qu’on nous l’ait changé par l’électricité. J’imaginais d’autres gestes, celui des femmes relevant le bas de leurs jupes, celui des hommes cherchant le pommeau de leur épée. Comme les mots disparus de notre enfance, entendus pour la dernière fois dans la bouche des vieux parents qui nous quittaient l’un après l’autre. Chez moi personne ne dit plus « la commode en camphrier », personne ne parle plus des « trépieds ». Comme les airs de l’époque, les valses des années vingt, les polkas qui attendrissaient nos grands-parents.
Je pense à ces objets, ces boîtes, ces ustensiles qu’on découvre parfois dans les greniers, les cuisines, les fonds de placards, et dont personne ne sait plus à quoi ils pouvaient bien servir. Vanité de croire que nous comprenons les œuvres du temps : il enterre ses morts et garde les clefs. Seuls les rêves, la poésie, le jeu — allumer une bougie et se promener avec elle dans le couloir — nous font approcher parfois de ce que nous étions avant d’être ce que nous ne savons pas si nous sommes.
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Tu me regardes, tu me regardes de tout près, tu me regardes de plus en plus près, nous jouons au cyclope, nos yeux grandissent, se rejoignent, se superposent, et les cyclopes se regardent, respirent confondus, les bouches se rencontrent, luttent tièdes avec leurs lèvres, appuyant à peine la langue sur les dents, jouant dans leur enceinte où va et vient un air pesant dans un silence et un parfum ancien. Alors mes mains s'enfoncent dans tes cheveux, caressent lentement la profondeur de tes cheveux, tandis que nous nous embrassons comme si nous avions la bouche pleine de fleurs ou de poissons, de mouvements vivants, de senteur profonde. Et si nous nous mordons, la douleur est douce et si nous sombrons dans nos haleines mêlées en une brève et terrible noyade, cette mort instantanée est belle. Et il y a une seule salive et une seule saveur de fruit mûr, et je te sens trembler contre moi comme une lune dans l'eau.
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[…] et toute cette franc-maçonnerie du samedi soir dans la chambre d'étudiant ou les caves, avec des filles qui préfèrent danser en écoutant Star Dust ou When your man is going to put you down et qui exhalent une odeur douce et lente de parfum, de peau et de chaleur, elles se laissent embrasser vers la fin de la soirée, quelqu'un a mis The blues with a feeling et l'on danse presque immobile en se balançant seulement, et tout est trouble, sale et canaille, et tous les garçons ont envie d'arracher ces corsages tièdes tandis que les mains caressent une épaule, et toutes les filles ont la bouche entrouverte et elles s'abandonnent à la peur délicieuse et à la nuit et alors se dresse une trompette qui les possède toutes pour tous les hommes qui sont là, qui les prend d'une seule phrase chaude et les laisse retomber comme de l'herbe fauchée entre les bras de leur compagnon, et il y a une course immobile, un saut dans l'air de la nuit au-dessus de la ville, jusqu'à ce qu'un piano minutieux les rende à elles-mêmes, épuisées, réconciliées et toujours vierges, jusqu'au samedi suivant, tout cela en une musique qui effraie les bonnes gens des places d'orchestre pour qui il ne saurait y avoir de vérité sans programme imprimé et ouvreuse, et ainsi va le monde et le jazz est comme un oiseau qui émigre ou immigre ou transmigre, saute-barrière, moque-douanes, quelque chose qui court et se répond […]
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Comme rien ne les amusait plus que de jouer avec les mots, ils inventèrent, en ces jours-là, le jeu du cimetière. Ils ouvraient le dictionnaire, page 558, par exemple, et ils jouaient avec le hackery, la haquétie, le haquebute, l'hadrotome, l'haceldama, le hadru et le hadur. Mais au fond, ils étaient un peu tristes en pensant à toutes les possibilités perdues à cause du caractère argentin et de la fuite-implacable-du-temps. A propos de pharmacienne, Traveler soutenait que c'était la classe noble d'une nation profondément mérovingienne, et lui et Oliveira composèrent en l'honneur de Talita un poème épique où les hordes pharmaciennes envahissaient la Catalogne en semant la terreur, le piperin et l'ellébore. La nation pharmacienne aux superbes chevaux. Méditation dans la steppe pharmaceutique. Ô impératrice des pharmaciens, aie pitié des talochés, des talonnés, des talamasques et des taillables qui se taillent.
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Auteur de nombreux recueils de nouvelles qui ont fait de lui le maître de la littérature fantastique, Julio Cortázar a laissé une oeuvre où les convictions côtoient l'onirisme et l'humour, s'imposant ainsi parmi les plus grands écrivains de la littérature latino-américaine moderne.
Lire Cortázar, c'est plonger dans un univers littéraire à la fois captivant et déroutant, où la réalité se mêle à l'imaginaire avec une habileté saisissante.
Tous les livres de Cortázar publiés chez Gallimard : https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Julio-Cortazar
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