Même quand on a des milliers d'heures de lecture à son actif, certains livres s'offrent à vous sans aucune difficulté tandis que d'autres prennent un malin plaisir à se faire désirer.
J'avais entendu tant de bons échos bruisser sur la toile à propos de ce roman que je me disais que sa lecture serait facile pour moi.
Que nenni !
Après seulement quelques pages, je me suis dit : Mais ce type est complètement barge !!! Comment espère-t-il camoufler dans la durée un cadavre en décomposition planqué dans le coffre de sa voiture ?
J'avoue avoir été tentée d'abandonner ma lecture tant je me sentais hors-phase avec le contexte ubuesque dans lequel ce personnage s'enfonçait progressivement.
Mais à force de me répéter « on va se battre, on finira cette lecture », j'ai eu une sorte de révélation (non ! pas la grotte, les voix, tout ça, tout ça). J'ai simplement réalisé qu'il fallait lire ce texte, non pas au premier degré, mais bien au second.
Et là, Alleluja ! Tout est devenu limpide.
A commencer par le style de l'auteur que je découvrais avec ce roman. Un style direct, brut de décoffrage avec des phrases très courtes qui reviennent comme des mantras et qui ressemblent à ces conversations décousues que nous menons intérieurement avec nous-mêmes.
Même si c'est parfois un tout petit peu trop répétitif, ça fonctionne bien et on parvient finalement à se projeter assez vite dans le cerveau de cet homme qui court à sa perte.
L'hallucinante galerie de personnages qui émaillent ce roman n'est pas en reste dans le style « délire à chaque page ». Délire du pouvoir suprême incarné par certains ou totale absurdité d'un système révélée par d'autres. Là encore, Ubu est en embuscade dans les personnalités multiples de ces protagonistes schizophrènes qui, derrière l'anonymat de leurs pavillons de banlieue dortoir, s'érigent en démons rédempteurs, protégés par leurs volets qui sont comme des paupières en PVC se levant et se refermant sur les secrets les plus barbares de gens ordinaires.
Finalement, en bousculant le lecteur dans ses repères « classiques », ce roman fonctionne encore mieux qu'un polar standard.
Si on prend la peine de se projeter au-delà des mots et des situations absurdes décrites par l'auteur, ce road-movie macabre nous donne à réfléchir sur une société en totale décomposition dont nous ne savons malheureusement plus quoi faire depuis qu'un certain Orange mécanique nous en avait dévoilé les dérives dès 1971. Il y a un demi-siècle, on appelait cela un film d'anticipation…
On ne connaît jamais vraiment les gens qu'on aime.
La magnifique couverture de ce roman est due au talent de Caroline Lainé.
Lien :
http://nellydespolars.wordpr..