AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Née contente à Oraibi (18)

« A présent, tu vas reprendre le chemin au fond du canyon, exactement à l’inverse de ce que tu as fait avec Maasaw. » Les gens saluaient Grand-Mère Araignée à notre passage comme si elle avait eu forme humaine, mais ils ne semblaient toujours pas me voir. Leur perception et la mienne ne devaient pas être de même nature et c’est sans doute ce qui me distinguait des morts. Après une longue traversée, nous avons fini par atteindre le point où le canyon remontait vers mon paysage intérieur. Nous avons à nouveau croisé ces hommes et ces femmes qui descendaient dans la chaleur étouffante. Grand-Mère Araignée m’a alors expliqué pourquoi certains progressaient plus rapidement que d’autres. Tous étaient morts, mais tous n’avaient pas eu le même chemin de vie. Ceux qui peinaient le plus étaient ceux qui s’étaient le plus écarté des valeurs du peuple hopi.
Quand nous sommes arrivées à la hauteur de la vieille femme assoiffée, n’avançant que d’un pas par jour avec une gourde vide, Grand-Mère Araignée me l’a désignée comme une Deux-Cœurs. Chaque vie prise à quelqu’un d’autre de son vivant pour prolonger la sienne lui coûtait plusieurs décennies de marche assoiffée pour rejoindre la Maison des morts.
Il n’était d’ailleurs pas dit qu’elle l’atteigne un jour, avant la prochaine Emergence.
Commenter  J’apprécie          190
Il était maintenant midi. Le soleil tapait fort, il valait mieux prendre un peu de repose avant la danse publique. Nous aurions pu chercher les membres du clan de l’Ourse parmi la foule, mais ma mère préférait rester discrète. Elle ne souhaitait pas voir la famille de mon père tant qu’elle n’était pas sûre que son fils allait bien. Patangwupööqa a proposé que nous trouvions refuge chez son frère de la Citrouille. Cet homme et sa femme nous ont accueillis avec beaucoup de gentillesse, nous offrant abondamment à boire et à manger. Ayant déjà rencontré Mankwatsi, sachant très bien pourquoi nous étions là, ils formulaient à l’attention de ma mère des phrases très douces, apaisantes, sans jamais lui poser directement de questions. Je les regardais faire avec une certaine curiosité. Chez nous, les discussions étaient toujours vives et frontales. Ici, sur la Première Mesa, les gens se laissaient le temps de la réflexion entre deux phrases. Même leur façon de prononcer les mots était différente de la nôtre, s’attardant volontiers sur certaines syllabes. Cela donnait aux conversations un tour plus tranquille, plus délicat.
Commenter  J’apprécie          150
Selon lui, dans l'existence, il y avait un temps pour agir en commun et un temps pour se faire sa propre expérience du monde. Contempler les animaux, les roches et les végétaux pour les comprendre était un devoir au moins aussi important que celui d'honorer les esprits, et en tout cas plus noble que de surveiller ses voisins.
Commenter  J’apprécie          150
« Le papillon est fragile, il ne faut pas tenter de le retenir quand il a envie de s’envoler… »
Commenter  J’apprécie          100
«Alors comme ça, tu voyages dans la Maison des morts ?» Je ne savais pas trop quoi répondre : étais-je vraiment venue ici de mon plein gré ? Et qu'étais-je censée y faire ? Comme s'il avait entendu mes interrogations, Màasaw a dit : «En passant d'un monde à l'autre, tu ne fais rien d'autre que ce qu'on fait tes ancêtres au moment de l'Émergence, puis des migrations. Tu es jeune, tu n'es sans doute qu'au début de ton voyage et nous sommes là pour te guider, si tu le souhaites.» Mon seul souhait pour le moment aurait sans doute été de revoir mon père et de lui parler. Toujours comme s'il m'avait entendue, Màasaw a précisé : «Si tu décides de rester ici, tu ne devras chercher personne. Celui qui a été ton père ou n'importe qui de ta famille dans l'autre monde ne te sera plus rien dans celui-ci. De même que tu passes toi-même des frontières, il faut accepter le voyage des âmes et des esprits.»
Malgré ce qu'était en train de dire Màasaw, une part de moi vagabondait encore en bas de la tour, à la poursuite de mon père. Après tout, la situation ne me paraissait pas très différente de ce qu'elle était lorsque j'étais jeune fille : mon père vivait sa vie propre et je devais cavaler après dans l'espoir d'attirer son attention. Peu importe qu'il soit désormais le père d'autres enfants, en insistant un peu, il finirait sans doute par se souvenir de moi et me reconnaître.
Devinant ce qui était en train de se jouer dans ma tête, Màasaw, en bon Gardien des morts, a continuer sans s'impatienter : «Tu dois comprendre une chose : rien de ce qui a existé dans le monde des vivants ne saurait se reproduire au pays des morts. Ce que ton père était pour toi peut survivre quelque part sur ton territoire intérieur, mais nulle part ailleurs. En courant après la vie d'avant, la seule chose que tu pourras faire sera de ralentir sa route ici, où il a désormais une famille.»
Petit à petit, la parole de Màasaw faisait son chemin en moi. Il y a longtemps, Honahöhöqya m'avait déjà expliqué qu'il ne fallait pas pleurer les morts. Du coup, je n'avais presque jamais pleuré mon père, mais je n'avais jamais rien défait non plus du lien qui m'unissait à lui. Dans mon esprit, son passage dans le monde des morts n'impliquait pas que je libère jusqu'à son souvenir, ni que je mette fin au dialogue silencieux que nous avions noué lors des longues promenades où je lui courais après. Il me semblait toujours aujourd'hui que, quand je marchais, c'était dans son sillage, quasiment dans l'appel d'air ouvert par sa disparition. Je m'apercevait même qu'il y avait là quelque chose de substantiel, comme un souffle invisible et puissant.
Maintenant que j'avais vu mon père dans sa vie actuelle, avec d'autres enfants, cette perception allait peut-être changer. D'abord, il était à cheval, et je ne pouvais plus le suivre. Ensuite, je devais bien admettre que s'il attendait quelqu'un, ce n'était plus moi. Cela me faisait drôle, mais d'autres enfants dépendaient de lui. Enfin, bien que Màasaw ait eu la délicatesse de ne pas me le dire, j'ai compris ce qu'était cette pointe dans sa poitrine qui l'empêchait de vivre normalement : c'était tout simplement le souffle que je lui prenais, le souffle sien dont j'avais, sans le savoir, toujours besoin.
Commenter  J’apprécie          70
P38 De temps en temps, la journée, il m’emmenait marcher avec lui. J’étais alors là plus heureuse du monde, car mon père savait tout et l’avoir pour moi seule était un privilège. Il m’apprenait à suivre la trace des animaux et, pour peu qu’il soit disposé à parler , me décrivait leur habitude aussi bien que s’il avait été l’un des leurs. Il m’enseignait a n’en craindre aucun et ne jamais rien faire qui puisse les déranger. Non seulement parce que les animaux représentaient des esprits sacrés et utiles à notre peuple, mais aussi, je crois, simplement par respect de leur tranquillité. Il y avait quelque chose de profane et d’intime dans son amour des créatures de nos plateau. La chasse le répugnait et la capture des faucons pour les besoins de certaines cérémonies l’attristait. Ce qu’il admirait vraiment chez les rapaces, plus que leur capacité à transmettre nos prières aux esprits, c’était leur acuité et leur précision en vol. Il pouvait passer des heures à les observer. «  Regarde ! Me disait il. Celui-ci est à cent mètres de nous, il sait exactement à quel endroit nous allons déranger ses proies et à quel moment il pourra les saisir. » Ce spectacle le fascinait bien plus que celui des danses apaches, pourtant réputées pour leur rapidité et leur légèreté. Pour lui, l’agilité appartenait au monde animal pas à celui des hommes"
Commenter  J’apprécie          70
Et il y avait le rite des morts. Ma mère et ses sœurs ne voulaient pas que j'assiste au lavage des cheveux ni aux peintures du corps, mais dès qu'elles avaient fini, je me rendais auprès de mon père pour accomplir un rite qui m'était propre.
Sa mort ne me faisait pas peur. Sous la couronne de pahos que lui avait confectionnée ma mère, son visage brun était tranquille. Il ne m'était pas permis de le toucher - lui-même m'avait appris avec les chats qu'il ne fallait pas "tripoter la mort" - mais j'avais l'impression qu'en le frictionnant, il aurait été possible de le ramener à la vie. Le masque de coton blanc qui flottait à côté de sa tête et qui lui servirait à rejoindre le peuple des Nuages l'enveloppait d'une douceur qui m'apaisait.
Maintenant qu'il était couché là, ma parole était encore plus libre qu'autrefois sur les chemins. Je lui racontais tout ce qui me passait par la tête : nos journées chez Itangu, les réactions des uns et des autres à l'annonce de sa mort, tout ce que nous faisions pour honorer son esprit en attendant le jour où son corps partirait - chaque détail de ces trois journées froides et sèches, que je n'arrivais pas vivre autrement que dans une sorte d'exaltation.

C'est Honahöhöqya la première qui, quand elle est arrivée à Oraibi le quatrième jour, a cherché à me persuader de cesser de parler à mon père. "Il est mort, disait-elle. Tu dois maintenant laisser son esprit partir en paix." Les autres n'avaient pas eu la force de m'interdire cela. Comme il m'était difficile de l'accepter au moment même où son corps allait être emporté, ma grand-mère m'a emmenée à l'ouest du village, pour me montrer la butte blanchâtre qui se dressait en direction du nord. Je ne pouvais pas la voir, mais d'après elle, sur cette butte se situait l'entrée de la Maison des morts. C'est vers elle que mon père était en train de cheminer. De là, il redescendrait par l'est et continuerait un chemin que nous ne devions pas essayer de connaître. Il avait besoin de toutes ses forces. Il ne fallait pas le retenir.

p. 51-52
Commenter  J’apprécie          70
« Puis un matin, quand le printemps a été bien installé, j'ai décidé quelque chose pour faire cesser ce rêve. J'ai pris Tête-de-Boue sous mon bras et je me suis rendue à l'endroit où mon père et moi aurions dû prélever la terre pour les haricots. Le sol, bien entendu, était maintenant dégelé. J'ai sorti de ma poche les haricots que mon père m'avait confiés et je les ai plantés dans le sens qu'il m'avait montré, en faisant cette prière à Mère-Corbeau : soit les esprits courroucés par tout le tabac fumé en dehors de la kiva passaient l'éponge et nous rendaient mon père en même temps que pousseraient les haricots, soit ils étaient obtus et reprenaient les haricots – mais en ce cas qu'ils gardent également la tristesse qui s'était abattue chez nous depuis le rapt de mon père. "Qu'à jamais la terre étouffe dans ce petit trou les mauvais rêves et les sanglots !" avais-je crié devant les haricots fraîchement plantés. Et j'étais rentrée à la maison. » (p. 56)
Commenter  J’apprécie          60
Les quatre anciens ont rappelé que, pour un un clan fragile comme le nôtre, l'urgence était de ne pas péricliter. Il fallait que nos familles puissent vivre dans une certaine prospérité. Pour cela, il fallait veiller à ce que chacun se conduise en bon Hopi, selon des principes de vie mesurés, afin d'éviter maladies et mauvaises récoltes. Bien guidé, le clan du Papillon pouvait se maintenir, voire se renforcer ; laissé en friche et en errance, il courait le risque de disparaître.
Avec une pointe de provocation, ma mère a demandé :"Et pourquoi devrions-nous nécessairement survivre ? Nous sommes peu nombreux, nous sommes les derniers. Ne pourrions nous pas simplement envisager, au fil des générations, de nous fondre dans le clan du Blaireau auquel nous sommes si fortement lié ?
- ll ne nous est pas permis de décider de ces choses-là, a répondu la vieille mère du Blaireau. Le pouvoir du Papillon est complémentaire de tous les autres, notre peuple ne peut pas s'en passer. Songe à nos totems, nos wu'ya, chère Hookonatalasho'i. Si le clan du Blaireau connaît les plantes et sait en user, le clan du Papillon, grâce à son wu'ya, est le mieux placé pour en assurer la sauvegarde et la reproduction. Le papillon est capable de parcourir de grandes distances pour féconder les graines et harmoniser la répartition des espèces. Il représente à lui seul le principe de la vie disséminée, et un principe n'a pas besoin d'être répété à l'infini. Il lui suffit d'être présent quelque part dans l'Univers pour être actif. Voilà pourquoi l'esprit du Papillon ne doit pas seulement être sauvegardé dans les chants d'été célébrant la floraison, le mûrissement des fruits et des récoltes, mais également dans son essence même incarnée par la vitalité d'un clan."

p. 165-166
Commenter  J’apprécie          60
[à propos de sa maison]
Nous avions l'impression d'habiter un écrin de terre meuble, moulé sur notre façon de vivre.
Commenter  J’apprécie          30






    Lecteurs (641) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les indiens d'Amérique du Nord

    Publié pour la première fois en 1970 aux États-Unis, ce livre de Dee Brown retrace les étapes de la Conquête de l'Ouest et les massacres des indiens entre 1860 et 1890 :

    Enterre mon corps Wounded Knee
    Enterre mon cœur à Wounded Knee
    Enterre mon âme à Wounded Knee
    Enterre mon esprit à Wounded Knee
    Enterre mon scalp à Wounded Knee

    10 questions
    190 lecteurs ont répondu
    Thèmes : conquete de l'ouest , far-west , western , ute , navajos , Nez Percé (Indiens) , comanche , Apache (Indiens) , Cheyennes (Indiens) , Sioux (Indiens) , indiens d'amérique , littérature américaineCréer un quiz sur ce livre

    {* *}