À cinquante-deux ans, elle en paraissait douze à quinze de plus. La peau tannée par le soleil mais flasque, le front plissé de ridules, les joues creuses, des veines saillantes sur les tempes, elle produisait l'impression avec sa sévérité et sa tristesse que tous les malheurs du monde l'écrasaient alors qu'une énergie surprenante, une générosité appréciée, une volonté farouche l'animaient.
je ne contestais point la singularité et le charme des Landes que j’avais découverts grâce à notre professeur de français dans un roman de François Mauriac, Le Mystère Frontenac, que nous avions analysé en classe, mais je préférais "ma" vallée.
En les entendant, je découvris avec étonnement que la composition des repas funèbres obéissait à des principes que les deux sœurs, très pratiquantes, comptaient appliquer strictement. La simplicité, la sobriété et même l’austérité s’imposaient.
Le garnement me dévisagea durement et s’égosilla pour m’invectiver : pouilleux, pedzouille, minable ! Il me gratifia d’un bras d’honneur puis exécuta quelques acrobaties sur sa machine avant de disparaître. Je transpirais, je tremblais. Quel imbécile ! Pourquoi cherchait-il l’incident et s’acharnait-il après moi ? Je ne connaissais pas son prénom. Il m’agressait parce que j’étais le neveu de Marie, qu’il la détestait et me détestait aussi. Je n’oubliais pas les paroles de Kléber, criantes de vérité : « La hargne et la haine coulent dans leur sang… » Pourquoi ressasser de vieilles rancœurs qui ne nous concernaient pas ?
Certes j’accompagnais les repas du rouge de la ferme mais je n’en abusais pas. Mon père le qualifiait de « cathare ». Pourquoi ? Je m’interrogeais. Il ne connaissait point les cathares, dont la religion avait effleuré les territoires mitoyens de l’Albigeois mais ne les avait pas conquis. Il affirmait que le rouge de Kléber torturait ses intestins que sa captivité n’avait pas ménagés. C’était un rouge naturel dont la teneur en alcool ne dépassait guère huit à dix degrés, qui était produit à l’ancienne sans chaptalisation même lorsque la vendange était d’une médiocre qualité.
Certes elle n’avait jamais apprécié que Kléber m’entraîne au bistrot après la messe mais elle ne pouvait guère refuser : je la secondais de mon mieux. Toutefois, elle me conseilla de ne pas enchaîner les apéritifs. L’allusion aux cinq tournées du premier dimanche de mon estivage était claire : les muscats m’avaient alors tourné la tête !
Il me paraissait impossible d’exprimer mon opinion qui n’aurait pas été comprise et qui aurait été assimilée à la position d’un mécréant, d’un adolescent sans jugeote.