J'avais abandonné tout espoir qu'elle se taise, et je souhaitais seulement qu'elle ralentisse un peu, mais elle continua à claqueter comme un caillou piégé dans un enjoliveur.
En marchant vers ma cellule, je saluai tous mes vieux potes en cellule de dégrisement, et ceux à qui il restait des facultés visuelles me saluèrent gaiement en retour.
-J’ai craqué, voilà tout. J’ai trop morflé d’un coup. Ça revient moins cher qu’une dépression. Et on en revient plus facilement, quand on en revient. Mon père picolait, ma mère aussi, elle a même fini par se suicider, et je n’ai jamais eu la vie trop belle. Je n’ai aucune force de caractère, aucune moralité, je ne crois en rien et je n’ai aucun but dans la vie, si ce n’est, comme disait Simon, de me tenir à flot, alors est-ce vraiment étonnant que je picole, avec tout ça ?
Mais debout devant cette femme endormie, je compris qu’il me serait impossible d’ingurgiter assez d’alcool pour évacuer tout ça de mon esprit. Le gros problème bien sûr, c’est que j’allais devoir affronter ma propre incapacité. Car, détective, je ne l’étais que sur ma licence. Putain de merde ! Moi qui ne lisais même pas de polars parce que je trouvais les intrigues toujours trop compliquées.
Il ne pouvait pas cacher l'usure d'une longue vie passé à n'être personne, usure que je comprenais mieux que je ne l'aurais souhaité.Être puéril vous aide peut-être à rester jeune, mais se faire traiter comme un enfant vous fait vieillir trop vite.
Même le pire des ivrognes a besoin d'un ami. Un ami sûr. Tout nombre supérieur à un ne fait qu'embrouiller la situation. Je sais qu'il y aura une personne qui me pleurera quand je mourrai.
Je me sentais à peu près aussi en forme qu'une capote usagée.
Je considérais un instant le joint, puis décidai de tirer une petite taffe, juste pour me décontracter. Je pourrais toujours m’arrêter au Willomot Hill Bar pour y prendre une bière, avaler deux amphés, fumer un pétard ou deux pour trouver dans la défonce un ersatz au courage qui me manquait.
Selon la bonne vieille tradition américaine.
En d’autres temps, je me serais dit : « Mince ! Cette fille est pleine aux as ! » Mais comme je suis vieux jeu, c’est exactement ce que je me dis.
Quand je me levai pour aller fermer la porte, le parfum de la jeune femme planait encore lourdement dans l'air frais de mon bureau, une fragrance de printemps, fleurie et virginale.