Leurs corps s'aimantèrent dans le noir, se trouvèrent, s'épousèrent.
Marie s'approche pour l'embrasser - un geste normal entre une belle-mère et une belle-fille qui s'en va. Alors qu'elle fait un dernier pas, Helen tend impulsivement son bras droit, dressant sa paume ouvert contre Marie.
« Non. »
Elle a l’air terrifiée. Sa main et sa voix stoppent l’élan de Marie, qui rougit violement.
« Au revoir, Helen. »
Dans une de ses lettres, elle avait copié une définition de l'amour qu'elle avait trouvé dans un poème intitulé « Ce e amorul ? », « Qu'est-ce que l'amour ? » : Une vie toute entière / De jours que remplit la douleur, / Que mille larmes ne peuvent assouvir, / Mais qui réclame des larmes encore.
« Lenoush, tu n'es pas heureuse ?
- Bien sûr que si Jacob. Je suis follement heureuse. Mais je ne le sens pas , je ne sens plus rien, j'ai l'impression d'être un bout d'élastique sur lequel on tire, c'est peut-être l'idée de tout recommencer, un nouveau pays, un nouvel appartement, une nouvelle école, une nouvelle langue, un nouveau travail… Je suis fatiguée. »
" Est-ce la liberté qui change la saveur de la vie ? "
Aimer, c'est aimer l'odeur de l'autre au creux de son aisselle.
Elle voyait devant elle un immense continent à escalader, comme une montagne. Elle avait envie de s'allonger et de dormir, mais elle savait qu'elle grimperait pas à pas en examinant attentivement l'endroit où planter ses crampons, et parviendrait au sommet.
A Bucarest elle était la femme d'un Juif. Elle avait cru recommencer sa vie où il n'y aurait plus jamais de discrimination. Elle faisait ses premiers pas sur la terre d'Israël et découvrait qu'elle était ici la chrétienne.
A mesure que la voiture prend de la vitesse, quelque chose en Marie se dégèle. Elle pleure. Elle se rend compte qu'Helen la hait au point d'être révulsée par un simple contact physique entre elles. Un instinct aussi fort que la terreur a poussé la mère d'Alex à tendre la main pour repousser Marie comme si c'était un démon. Vade retro, Satan !
Le vendeur l'invite à choisir une carte pour accompagner le bouquet. Elle prend celle qui dit "bon anniversaire" et rédige au-dessous, d'une écriture soignée, le texte qu'elle a passé la nuit à concocter : "Bon anniversaire, Marie. Affectueusement, Jacob et Helen." Un message simple, sans fioritures inutiles. Elle ne sent guère cette affection, mais ça n'a pas d'importance. Il ne s'agit pas de la sentir mais de la créer. Ses mots construisent par-dessus l'abîme un pont sur lequel elle marche pour rejoindre son fils.