AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,96

sur 28 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Après des débuts difficiles comme actrice et mannequin, la Britannique Yrsa Daley-Ward s'est fait connaître avec Bone, un recueil de poésie en spoken word, cette technique qui joue sur les sonorités et le rythme pour oraliser et musicaliser un texte. Cinq ans plus tard, en 2019, son autobiographie The Terrible, elle aussi très originalement stylisée, remportait le PEN/Ackerley Prize. Ce livre est aujourd'hui traduit en français sous le titre La vie précieuse.


Née d'une mère jamaïcaine et d'un père nigérian qui l'a abandonnée à la naissance, Yrsa grandit sur fond de discrimination raciale dans l'Angleterre des années 1990. Sa mère infirmière de nuit menant une vie instable et difficile, ce sont ses grands-parents, membres intégristes de l'Église adventiste du septième jour, qui, de ses sept à onze ans, l'élèvent avec son frère Little Roo dans l'outrance rigoriste de leur cadre moral et religieux. le contraste est absolu avec la vie bohème et l'indépendance totale que les deux enfants retrouvent à leur retour chez leur mère. Leur parcours d'adolescents s'avère alors chaotique, entre drogue mais aussi prostitution pour Yrsa, alors que la précarité et son tempérament – « le terrible » dont elle raconte les frasques et les éclats comme s'il était une créature autonome en elle – la jettent dans une errance de tous les excès. Heureusement, du pire finit quand même par jaillir la lumière, lorsque la poésie devient son exutoire et sa bouée de sauvetage.


L'écriture d'Yrsa a la fluorescence d'un diamant noir. Elle irradie du fond de l'obscurité, accroche la lumière aux arêtes vives d'une voix qui a trouvé dans la stylisation poétique un mode d'expression aussi viscéral qu'élégant, frontal mais jamais cru, mêlant le silex de sa lucidité d'adulte à la tendreté de son ressenti d'enfant, pour un récit sombre où triomphent malgré tout espoir et résilience. Entre prose et vers libres, l'oralité poétique du texte sait si bien jouer du rythme des mots et de la mise en page, de ruptures en ellipses et accélérations, de passages développés en fragments lapidaires, variant autant les effets sonores que visuels au gré d'une composition de page variée et inventive, que d'emblée captivé par la sincérité, la force et l'originalité du récit, l'on y plonge dès son exergue déjà singulier pour ne plus en émerger avant son point final, surpris, impressionné, conquis.


En trouvant dans l'écriture le palissage qui manquait à son existence de plante poussée sauvagement dans une marge sociale et familiale, Yrsa Daley-Ward est aussi devenue une alchimiste des sentiments et des sensations, transmutés ici en une oeuvre poétique et littéraire réellement belle et singulière, puissante et profonde. Un livre étonnant et marquant, qui se dévore d'une traite. Coup de coeur.


Merci à Babelio et aux éditions La Croisée pour cette découverte en avant-première.
Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          878
« The Terrible », c'est le titre original de ce livre et qui, maintenant que je l'ai terminé, prend beaucoup plus de sens que « La vie précieuse », titre choisi par les éditions françaises. Publié pour la première fois en 2018, ce roman autobiographique fort atypique a visiblement eu son petit succès, mais ce n'est que cette année qu'il a été traduit et publié en France (le 7 février prochain plus précisément).

Fort atypique vous disais-je, il l'est sans aucun doute. Yrsa Daley-Ward est poétesse et ça se ressent dans tout son récit, dans lequel elle nous raconte à sa manière son enfance, son adolescence et ses débuts dans la vie active. Élevés par une mère célibataire, infirmière de nuit qui se tue à la tâche et douée pour se trouver des hommes plus boulets qu'autre chose, Yrsa et son frère sont ensuite confiés à leurs grands-parents, où l'éducation ultra-religieuse et les règles strictes sont de rigueur. Plus tard, ce sont ses débuts à Manchester sur lesquels elle revient, puis à Londres, où soirées à n'en plus finir riment avec alcool et drogue. de son enfance à sa sortie du lycée et bien après, Yrsa se cherche, se découvre, se teste, parfois au-delà des limites.

Fort atypique donc, par une enfance et un passé familial hors du commun. Fort atypique, car Yrsa est également une enfant/ado/femme qui n'a pas toujours suivi les chemins les plus faciles et qui lui étaient destinés. Mais aussi fort atypique, par une mise en forme du récit inhabituelle. Et fort atypique, par un style propre à l'autrice, coupant et sulfureux.

L'autrice évoque des faits peu évidents à admettre/confier, enfin j'imagine, mais qu'elle assume entièrement. Avec ses mots et ses phrases parfois décousus, c'est avant tout ses ressentis qu'elle partage avec nous. Son récit transpire la sincérité et c'est ce qui nous accroche dès le départ. À chaque étape de sa vie, viennent s'ancrer des doutes et des questions, des envies et des besoins, des ressentis et des émotions qu'elle n'hésite pas à retranscrire dans son livre. Elle décortique toute son enfance et sa jeunesse : la découverte de son corps qui change, sa mère qui lui manque, son frère dont elle se sent très proche sans se sentir obligée d'être constamment là pour lui, l'euphorie des drogues et alcools sur son mal-être, son passé d'escort-girl et les factures qui s'accumulent. À la sortie du lycée, elle aurait dû aller à la fac et avoir une vie bien rangée, mais elle a fait un tout autre choix, a pris une toute autre voie, sinueuse, et c'est ça qu'elle nous conte.

Et elle le fait bien, à sa manière certes, mais c'est percutant, honnête et profond. C'est un style auquel il faut s'habituer mais je m'y suis rapidement fait. Certains chapitres font trois pages, d'autres ne comptent qu'une dizaine de lignes. Certaines phrases sont coupées à un ou plusieurs endroits pour mieux en retrouver la suite après un saut de ligne. Certaines sont ponctuées normalement, d'autres au contraire brillent par l'absence de virgules. On pourrait croire, comme ça, que ça part dans tous les sens. Et pourtant, ce n'est absolument pas le cas, l'histoire d'Yrsa est structurée et le récit bien organisé, bien que d'une manière inhabituelle. Tel un grand poème en vers libre, très introspectif, c'est ainsi que l'autrice se raconte et ça a bien fonctionné sur moi.

C'est souvent sombre, mais pas si oppressant. La lecture se veut facile et rapide, les pages se tournent toutes seules, et on en arrive au bout sans crier gare. Je n'ai pas vu le temps passer, le récit est happant et joliment écrit, poétique et pesant tout à la fois.

Je remercie Déborah de Babelio et les éditions La Croisée pour cette jolie découverte, en avant-première qui plus est, dans le cadre d'une masse critique privilégiée.
Commenter  J’apprécie          834
Le titre original de ce récit à l'écriture inoubliable qui restera en moi très longtemps était «  The Terrible » paru en 2018 , traduit de l'anglais seulement en 2024 , je ne ne sais pas pourquoi.
Les éditions françaises ont choisi un autre titre.

Un roman autobiographique passionnant de bout en bout ,écrit par une poétesse reconnue dont on sent l'âme incandescente, la passion , la sincérité, une écriture atypique, touchante, ultra moderne , il me semble , une explosion de chapitres fort différents, une déflagration, : phrases coupées à un ou plusieurs endroits, saut de ligne, parfois absence de virgule, sans majuscules , ça part dans toutes les directions parfois , tel un poème infini ,libre, unique qui donne une impulsion , un souffle, de la vitalité , de la force , aux propos .

Une expérience de lecture unique , jouant avec les formes , la typographie, un style profond, audacieux, étincelant, pétri d'envolées pleines de vie , de rage ou de désespoir…..des mots , des phrases parfois décousues, sombres , intenses .

Dans les années 80, elle nous conte à sa manière son enfance et son adolescence , elle détaille avec grâce ces années, où elle grandit entre son frère Roo, et sa mère, infirmière de nuit dans un quotidien où elle grandira tant bien que mal .
Leur mère les confiera un jour à ses grands - parents , adventistes , férus de religion, très stricts aux rituels sévères dénués de fantaisie …
Plus tard , elle nous livre ses débuts à Manchester , la découverte de son corps qui change , ses désirs naissants ,ses passions , sinueuses, l'intensité de ses émotions, une ado rebelle, l'extraordinaire euphorie des drogues et de l'alcool , son frère qui lui manque …..

Elle devra s'en sortir assez seule dans un milieu raciste, blanc, surtout exposée aux regards concupiscents d'hommes très sensibles à sa beauté .
Elle se cherche, , se teste , à la limite du danger ….. ses mémoires d'escort perdue à Londres, les factures amoncelées.




Elle s'affranchit de toutes les règles , sauf , bien sûr , celles de l'orthographe , elle imposera sa voix de femme libre…..
Une sorte de liberté dans l'art de l'écriture .
Je n'en dirai pas plus .
Une vraie , authentique artiste , une femme déterminée , vivante , en pleine conquête d'elle - même , militante , féministe en diable , intersection elle .
Elle évoluera par la force de son caractère et son intelligence aiguisée.
Elle impose sa voix : «  La beauté fait rester les gens , pensai - je .
La beauté pousse les gens à écouter La beauté fait tomber les gens amoureux et les rend patauds » .

«  sa respiration change
elle la sent chaude, qui gronde
qui grandit dans son ventre
jusqu'à ses orteils
ses jambes commencent à trembler
et
voilà » .
«  Tout ce qui me vient c'est
La beauté rend tout supportable » …….

Un récit impressionnant maîtrisant à la perfection les sensations et les sentiments , impossible à lâcher., étincelant , au style envoûtant, libre , fort et sulfureux .
Un gros coup de coeur , vraiment .
Mais ce n'est que mon avis, bien sûr .
Je remercie chaleureusement Déborah, Masse Critique , Babelio et les éditions
«  la croisée » pour l'envoi de ce récit inventif et réjouissant, à l'originalité sans égal, édifiant, astucieux , surprenant , sans complaisance, vif , qui touche au coeur .
Peut - être ne plaira t- il pas à tout le monde tellement il est atypique ….


..


Commenter  J’apprécie          425
Gros (très gros) coup de coeur.

D'entrée le style, libre, les pensées claires, la détermination, la poésie du texte, tout m'a enchantée. Une déflagration, une révélation. Je l'ai lu d'une traite cette nuit et là au réveil, je veux écrire cette critique pendant que je suis encore sous le choc.
L'histoire: dans les années 80, Marcia, une jeune fille de quatorze ans enceinte, débarque de Jamaïque pour rejoindre ses parents installés en Angleterre. Sa mère va étudier et deviendra infirmière, et elle aura encore deux enfants, de pères différents. Yrsa, la seule fille, va devoir grandir et s'en sortir dans un milieu inconnu, blanc et souvent raciste, au milieu d'hommes qui ne restent pas insensibles à sa beauté précoce. Pour la protéger, sa mère l'éloigne provisoirement en la confiant à ses grands parents, des adventistes très religieux, terrorisant. Par la force de son caractère, par l'intelligence, et par la beauté dont elle se sert quelques fois, elle va s'affranchir de tous ces obstacles pour devenir une femme libre.
L'histoire en elle-même est édifiante à tous points de vue mais surtout c'est le style de l'autrice qui donne du souffle, de la vie au récit: c'est comme si le livre était écrit en 3D.
J'ai déjà eu ce genre de choc une ou deux fois, toujours avec des autrices contemporaines (et souvent britanniques ou canadiennes) qui défiaient la langue et le roman ou la poésie en s'affranchissant d'à peu près toutes les règles (sauf celle de l'orthographe) pour sublimer la liberté dans l'art et c'est vraiment ce que j'ai ressenti, là, cette nuit.
Je ne peux rien dire de plus sinon qu'à mon sens, une porte s'est ouverte sur l'avenir de l'écriture en tant qu'art.
Je tiens à remercier avec la plus grande sincérité Babelio et les éditions La Croisée, pour m'avoir offert l'honneur de cette nuit blanche, fiévreuse, et le bouleversement que cette lecture m'a procuré.
NB: ce livre a été publié en 2018. Je ne sais pas pourquoi il n'apparait qu'aujourd'hui?
Commenter  J’apprécie          289
✨Chronique✨

« Et Dieu sait qu'il y en a eu »

Il a des choses terribles de par le
Monde
Des choses qui sont incompatibles
Avec l'idée du bonheur
Et alors The Terrible débarque

Il est terrible
Selon l'endroit où tu vis
D'être une petite fille
D'être pauvre
D'être femme
D'être noire
D'être issue d'une famille monoparentale dysfonctionnelle
D'être belle
D'être dehors
D'être
Le Terrible a beau l'accompagner
Cette terrible réalité lui fait emprunter d'autres chemins
Des chemins obscurs, des chemins escarpés
Des chemins défoncés, des chemins mauvais
Des choses terribles s'y passent
Des choses pires que pires que le blizzard
Mais la vie continue de dérouler
Ses couleurs ses points de ruptures
Ses cauchemars ses césures
Des preuves des commencements
Des fins abruptes de vrais mensonges
Et la violence toujours
Mais où est cet amour? Où est-ce qu'il se planque? Où est-ce qu'il manque? Qui le fait ou qui le donne? Qui l'en prive ou qui l'ordonne?

J'imagine une licorne la liberté le terrible
Tout est là
Dans l'éclat dans l'excès dans le trop-plein
Tout est vérité
Dans le souvenir dans le désir dans le déséquilibre
J'entends je vois je devine je comprends j'examine je vis au travers du terrible
Je retrouve des ajustements des similitudes
Sans arriver à en pleurer
Tout est là et rien n'y est
Mon coeur était déjà coupé donc
Les mots d'Yrsa rentrent accrochent
Brillent comme des étoiles
Les mêmes interrogations m'interpellent
Et dans la personnification du terrible
Je sais pourquoi la poésie s'y glisse
Et elle m'impressionne
Son audace frontale son style rebelle
Elle me parle
La nuit le jour et tout l'entre-deux
Elle est extraordinaire
Magique
De couleur
Une supernova
Une supernova c'est une implosion
Tout est là dans la lumière
Dans l'ici et maintenant
Je crée mon coup de coeur
Autour de la Vie précieuse
Et je dis qu'il serait terrible
De passer à côté de cette merveille!

« jusqu'ici, j'ai tout aimé,
Même les choses les plus terribles. »
Lien : https://fairystelphique.word..
Commenter  J’apprécie          220
Un grand merci à Babelio et aux éditions La croisée pour cette belle découverte.
Publié pour la première fois en 2018, ce roman autobiographique n'a été traduit et publié en France que le 7 février de cette année.
Yrsa Daley-Ward nous raconte son enfance, son adolescence et ses débuts dans la vie active. Sa mère célibataire est infirmière de nuit et elle a le don de tomber sur de bons gros boulets pour partager sa vie. Ysra et son frère sont ensuite confiés à leurs grands-parents, et là c'est un grand changement de style : l'éducation ultrareligieuse et les règles strictes sont de rigueur. Devenue adulte, elle partage ses débuts à Manchester, puis à Londres, et ses soirées composées essentiellement d'alcool et de drogue.
On comprend son cheminement, sa recherche de limites et d'identité, elle partage ses émotions, ses doutes et ses interrogations, que ce soit sur son corps, son travail d'escort, son frère, ...
Ce qui m'a particulièrement plu, hormis ce parcours de vie hors du commun et cette forte personnalité, c'est le style de la narration : des mots et des phrases décousus, peu ou pas de ponctuation parfois, des chapitres de taille aléatoire ... Une forme totalement décousue pour un fonds très organisé !
Maintenant que j'ai lu ce récit, je comprends mieux le titre original, "The Terrible", qui me semble bien plus adapté que le titre retenu en français.
Commenter  J’apprécie          70
Yrsa Daley-Ward est née en Angleterre, d'une mère (Marcia) jamaïcaine et d'un père nigérian. Avant elle, est né (d'un autre homme) son frère ainé (Samson) qui sera élevé par ses grands-parents. Après elle, naîtra d'un troisième géniteur (Sonny) son petit frère « little » Roo. Marcia est infirmière, elle va finalement s'installer avec le dernier petit ami en date (Linford) et ses deux plus jeunes enfants.

Mais Yrsa grandit trop vite. Yrsa est trop belle … Alors, encore toute petite, on l'éloigne de la maison maternelle. Elle va vivre à son tour chez ses grands-parents Adventistes … Son éducation sera dès lors on ne peut plus rigoureuse …

Yrsa deviendra l'artiste accomplie qu'elle est aujourd'hui (poésie, musique, cinéma …) après s'être un temps perdue dans un gros mal de vivre … En passant par la case Afrique du Sud.

Cette (courte) autobiographie (l'auteure n'a que trente-cinq ans !) se lit comme un roman. C'est une perle littéraire. L'écriture est finement ciselée, le style poétique, les mots choisis avec grand soin. La typographie particulièrement agréable …

(Jusqu'à la couverture qui est – à elle seule – une petite « oeuvre d'art » !) J'ai vraiment pris un IMMENSE plaisir à découvrir ce superbe ouvrage ! Un grand merci à la Massse Critique Privilégiée de Babelio et aux Éditions La Croisée !
Commenter  J’apprécie          70
On quitte les Etats-Unis, pour retrouver Londres et l'autrice anglaise Yrsa Daley-Ward dans ce roman autobiographique, paru chez La Croisée. Autrice d'un premier recueil de poésie Bone, elle aurait travaillé pour Beyoncé sur l'un de ses albums. Yrsa Daley-Ward a également publier ses poèmes par le biais d'Instagram. Ce livre témoigne d'une certaine recherche stylistique, déjà présent dans son recueil de poèmes Bone, rédigés selon la méthode appelée spoken word poétique, je cite ici Wikipédia « L'expression spoken word comme telle nous vient des États-Unis, inspirée des traditions jazz, soul et blues, et surtout de la Beat Generation, symbolisée par Kerouac, Ginsberg et Burroughs. » On nous explique plus loin, qu'en France, ce mouvement de poésie orale se distingue du slam par le fait qu'il est accompagné de musique.

L'histoire, pour commencer : celle d'une jeune femme d'origine jamaïcaine par sa mère, nigériane par ce père, abandonnée par ce dernier, qu'elle ne connaîtra jamais. Avec son petit frère Little Roo, elle vit chez sa mère qui peine à boucler les fins de mois. Surchargée de travail, la mère les laisse chez ses parents, pas loin d'être des fanatiques religieux pour qu'ils s'en occupent. Au bout de quelques années, les enfants finissent par revenir chez leur mère, mais celle-ci n'en finit plus, entre son travail de nuit, et celui de jour, sa vie intime avec les compagnons qui se succèdent, les enfants sont livrés à eux-mêmes et vont devoir se débrouiller tant bien que mal. Mais quand on est pauvre, et qu'on a la peau noire, les préjugés ont vite fait de vous mettre des bâtons dans les roues. Et c'est cet apprentissage de la vie que l'autrice londonienne met en texte, chapitre après chapitre, dans différentes formes textuelles, en tordant la forme narrative, en modelant son texte, et lui donner, à certains passages, une forme d'oralité. Une narration déformée pour illustrer une existence instable, émotionnellement, autant que matériellement, où son seul point d'ancrage reste ce frère cadet, lui-même autant dans la houle qu'Yrsa l'est.

La vie de l'autrice anglaise est décousue, aux côtés d'une mère qui faisait ce qu'elle pouvait, des grands-parents partis dans un délire pentecôtiste un poil extrémiste, un père aux abonnés absents, un aîné parti faire sa vie, un petit frère pour seul compagnon, le peu d'argent du salaire de la mère, et surtout des absences à combler, un sens à sa vie à trouver. Toutes ces épreuves ne pouvaient pas se retranscrire dans un texte linéaire et continu, à la topographie justifiée, aux mots en majuscules. Cette recherche d'une forme différente, de formes différentes, fait écho à cette vie en dents de scie, avec ses béances souvent, ces « choses terribles » que l'autrice évoque en guise de prélude, son refuge dans la drogue, l'abandon de son corps aux mains d'inconnus qui passent, à la dépression dans laquelle elle s'enfonce de plus en plus.

C'est une véritable expérience, que de lire ce livre : entre l'épitaphe et le prologue, se trouve une page. En haut de cette page, une phrase simple « jusqu'ici, j'ai tout aimé, même les choses les plus terribles. » de suite, votre oeil est attiré par une phrase inscrite en bas de la page, mais il vous faut retourner le livre pour la déchiffrer, cette phrase étant imprimée à l'envers de la pagination normale, que je vous laisserai découvrir. C'est inattendu et déconcertant, l'autrice cherche à provoquer des interrogations et des émotions, c'est réussi. le récit est n'est jamais justifié, si vous êtes un-e lecteur-rice maniaque, cela risque d'être dérangeant – je ne le suis pas forcément et j'avoue que cela m'a chatouillé l'oeil d'un bout à l'autre du texte – mais j'imagine que c'est le but recherché. Les vies de Yrsa et de son jeune frère sont ponctuées de traumatismes, et les années passées entre deux grands-parents fanatiques n'ont rien arrangé à l'affaire, qui auraient laissé n'importe qui en rade. Il me semble justement que l'autrice a entièrement assimilé la limite du pouvoir des mots et du langage et a choisi de modeler la mise en forme du récit, comme un reflet, ou même mieux comme une extension des mots qui sont les siens. Elle pousse le lecteur hors de ses retranchements : elle le force à tourner et retourner son livre, la non justification du texte le contraint à adopter un autre rythme de lecture, un rythme scandé par les ressentis de Yra. Car ce texte est véritablement empreint d'une musicalité, scandée par un rythme propre, pas celui auquel on est habitué, auquel on s'attend, mais celui de phrases interrompues soudainement, des phrases qui se détachent des lignes en s'étalant sur trois d'entre elle. Parfois, l'autrice CRIE, parfois, elle « chuchote », quoi qu'il en soit cela ne gène en rien la compréhension du texte.

Je n'ai jamais autant manipulé un livre qu'à travers la lecture du texte autobiographique de Yrsa Daley-Ward, je ne me suis jamais autant entendu lire à haute voix (mais dans ma tête) un texte, comme une composition à plusieurs voix ou instruments, criant ou chuchotant. Comme dirait l'autre, la vie n'est pas un long fleuve tranquille, notre autrice a décidé que son récit ne le serait pas, comme sa vie ne l'a pas été : elle détruit cette linéarité, factice et classique, pour recréer les gouffres, les nuances, les intonations de sa vie, de sa santé mentale. Virginia Woolf a développé le flux de conscience pour retranscrire le déroulement des pensées au plus près de ce qu'il est en réalité, Yrsa Daley-Ward est allée encore un peu plus loin et a mis à un niveau au-dessus ce travail du style littéraire, en innovant elle aussi, en osant casser une narration classique, en s'affranchissant des règles et frontières du récit formaté, allant jusqu'à bouleverser la mise en page, jusqu'à la contribution même de l'imprimeur qui j'imagine a dû sortir de ses repères aussi pour confectionner cet ouvrage hors-norme.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
Commenter  J’apprécie          40
Coup de coeur!

Yrsa et son petit frère « Little Roo » sont placés chez leurs très pieux grands-parents par leur mère dépassée.
Rejetée à cause de ses origines et différences, Yrsa grandit dans la douleur et le manque d'une mère très peu présente.
Lorsqu'elle a onze ans, sa mère les récupère, elle et son frère. L'adolescence arrive et son besoin d'attention cogne à tel point qu'elle s'y perd…

J'ai été séduite par la plume surprenante, poétique et addictive de l'auteure.
J'ai été bouleversée par Yrsa, sa souffrance, son profond mal-être et cette étincelle d'espoir qui l'habite quand même.
J'ai été très touchée par les sujets abordés tels que le racisme, l'abandon, le harcèlement, la dépression, la dissociation de son corps, entre autres.

C'est un roman impossible à lâcher qui raconte la dépendance, la descente en enfer, les douleurs si fortes que le besoin de se couper de ses émotions est intense, vital.

Une histoire qui colle à la peau une fois terminée et qui marque les esprits qui la rencontre! À découvrir très vite!
Commenter  J’apprécie          32
J'ai lu texte en anglais, je n'ai donc pas idée de la qualité de la traduction. Ce roman m'a coupé le souffle. Il s'agit d'un texte qui a une force poétique rare, d'une sorte de collection de moments, de sensations, de relations à soi et à l'autre. Je ne révélerai rien de l'histoire car elle est bien résumée par l'éditeur, mais je voudrais dire à quel point l'autrice parvient à faire de chaque mot, de chaque moment, un espace poétique bouleversant et intime. C'est l'une des plus belles lectures que j'aie faite cette année.
Commenter  J’apprécie          10



Lecteurs (85) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1725 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}