- C’est pas folichon, grommelle Sa Majesté au bout d’une heure de tape-séant. Pas étonnant qu’ils veulent s’expanser, les Chinetocks, s’ils ont que la mer de sable d’Ermenon-Ville en guise de potager ! Où qu’on va au juste ?
- On longe la chaîne du Tibet, renseigné-je.
- Et on la longe pendant combien de temps ?
- Elle mesure plusieurs centaines de kilomètres.
Ça le fait bondir, Béru. Il se vrille la tempe d’un index qui a l’habitude de désigner les misères de la vie.
- Et après, demande-t-il ?
- On n’est pas du tout certain d’avoir un après.
Il gamberge un moment, le passe-montagne bas sur la vitrine car la nuit est froide comme une dame patronnesse. Puis il renifle puissamment afin d’éviter la formation de stalactites et demande :
- Bon, on est venu ici pour repérer une base ; seulement la Chine, c’est grand à ce que je m’ai laissé dire, non ?
Officiellement, et quoi qu’il arrive, nous sommes deux alpinistes suisses qui se sont égarés dans la chaîne de l’Himalaya. On va nous parachuter près de la frontière du Cachemire avec un matériel de montagne destiné à accréditer notre version. Ensuite, ce sera l’Inconnu avec un I majuscule. A nous de jouer. Dans cette période indécise du voyage, au cours de ce temps mort qui échappe à mon contrôle, je fais un retour sur moi-même.
Je médite un instant, les yeux fixés sur le ciel moutonneux qui s’étale au-dessous de nous. Désormais, selon la volonté ferme du Vieux, nous ne sommes plus Français. Notre Président de la République doit faire un voyage à Pékin dans les jours à venir et, étant donné les bonnes relations nouées entre la France et la Chine, un incident diplomatique est à éviter coûte que coûte.
Je file un regard à Béru. Les mains nouées sur la bedaine, voûté à cause du parachute qui lui gonfle le dos, il pionce en émettant un bruit nettement supérieur à celui de l’appareil.
Un officier amerlock assis en face de moi m’adresse un clin d’œil.
- On va bientôt arriver, dit-il dans un français approximatif. Il faudrait réveiller votre camarade.
- Dans combien de temps, interrogé-je.
Il mate sa tocante.
- Dix minutes environ. Le poste de pilotage nous préviendra cinq minutes avant le point de largage.
- Alors il sera temps de secouer Bérurier.
Le DCD de l’armée de l’air américaine vrombit dans la nuit d’Asie.
N... de D... ! m'écrié-je en pointillé pour ne pas choquer le lecteur pudibond...
Le champagne c'est du vin blanc de seltz, riposte le gravos, je préfère un bon muscadet, c'est plus sincère.
Ce sont les coups les plus osés qui réussissent le mieux… J'en ai fait souventes fois la remarque. Les hommes n'osent pas voir grand et c'est ça qui les rabougrit. Ils essayent, la plupart du temps, que des petits coups foireux. Alors, parce qu'ils sont foireux, ces petits coups, fatalement, ils foirent.
Kang tsé ktu vieng bou fé ? demande le chauffeur.
Naturellement, le sens de sa question m'échappe, j'élude en adressant par dessus mon épaule un geste impatienté. l'autre n'insiste pas et s'éloigne.
Il gamberge un moment, le passe-montagne bas sur la vitrine car la nuit est froide comme une dame patronnesse.