Une délicieuse voisine

Elle était si menue, si délicate. Sa chevelure dorée était comme un trésor qui étincelait au soleil. Il savait qu’il ne devait pas la toucher, sous aucun prétexte. Mais, oh… comme il avait faim de ces lèvres douces et roses !

La petite voix familière retentit dans sa tête.

Pas touche, mon gars. Elle n’est pas pour les types comme toi. Lâche-la tout de suite.

Mais, avant qu’il ait eu le temps de la reposer sur ses pieds, elle prit soudain son visage entre ses mains… et l’embrassa sur la bouche.

Et l’heureux crétin qui allait récupérer un hérisson femelle de dix ans ? Non content de veiller à lui fournir sa dose quotidienne de vers de farine, il devrait garder à l’esprit que Freya avait vécu « une jeunesse traumatisante ». Gabe dut relire la phrase trois fois pour se convaincre qu’elle avait bien écrit ça. Une jeunesse traumatisante. Incroyable ! Le monde grouillait de gamins affamés qui recevaient moins d’attention que la plus misérable de ces créatures. Gabe était bien placé pour le savoir, il en avait fait partie. À l’usine, on l’avait nourri de bouillon maigre, de pain sec et de rares morceaux de fromage – quand on ne réduisait pas ses portions pour sanctionner son inconduite, ce qui arrivait souvent. Il n’avait pas le temps de s’intéresser à ces bêtises, et il ne voulait pas être obligé de voir lady Pénélope tous les deux jours afin de régler tous ces détails absurdes. Cela serait beaucoup trop dangereux. — Un foyer chaleureux… Je t’en ficherais, moi, des foyers chaleureux ! Il était fort tenté d’envoyer toutes ces bestioles chez le boucher le plus proche. Lady Pénélope n’en saurait rien et n’en serait pas affectée. Soit. Mais si, par malheur, elle venait à l’apprendre, il y avait de fortes chances pour que lui s’en trouve affecté. Et puis, il n’était quand même pas insensible au point de faire débiter en biftecks un innocent hérisson. Ayant écarté l’option bouchère, il réfléchit à un endroit où il pourrait envoyer tout ce petit monde en bloc. Une ménagerie ? Mais les gens du cirque n’auraient que faire d’un hérisson traumatisé et de trois vieilles poules stériles… Et s’il relâchait Marigold la chèvre et Angus le bouvillon d’Écosse dans les allées de Hyde Park, cela risquait de se voir. Il était évident que, dans une grande ville comme Londres, il ne trouverait que très peu de solutions acceptables. Voire aucune. Ce qu’il lui fallait, c’était une ferme.

Écoutez, mes motivations n’ont rien à voir avec la gentillesse, la générosité ou la charité chrétienne. Elles sont purement égoïstes. Seul l’argent m’intéresse. Vous feriez bien de garder ça en tête.

Il allait devoir jouer serré. Cette fille était la candeur même. À l’évidence, elle avait mené une vie protégée. Face à lui, elle se troublait, rougissait. Elle ne voulait pas finir vieille fille, cela sautait aux yeux. Elle devait attendre le Prince Charmant depuis des années.

Même les créatures les plus sauvages et agressives pouvaient être apprivoisées à force de patience. Et Penny en avait amadoué de plus féroces que Gabriel Duke.

Ces gens rêvent de côtoyer l’élite de notre société. Le moindre titre de noblesse leur tourne la tête. Et ils se damneraient pour avoir la fille d’un comte pour voisine. Mais si, en se penchant par la fenêtre, ils voient ladite aristocratique voisine promener sa chèvre sur la pelouse, telle Marie-Antoinette en son temps au Petit Trianon, l’effet est gâché. Vous comprenes?

Elle avait toujours été une parfaite romantique qui croyait au destin, aux âmes sœurs, au coup de foudre… Et elle avait fondu d’attendrissement quand Emma et Alexandra étaient tombées éperdument amoureuses.

Elle faillit éclater de rire. Quels messieurs ?

Certes, il lui arrivait de croiser des hommes, mais ceux-ci étaient aux antipodes de ce spécimen irradiant de virilité, dont la proximité semblait réveiller en elle une féminité profondément enfouie, avec la violence d’un coup de gong. Penny avait l’impression que les vibrations l’ébranlaient tout entière et se propageaient jusque dans ses os, où elles animaient une force ancestrale tapie là depuis des années.

À sa connaissance, il n’y avait qu’un mot pour décrire ce phénomène : la lubricité.

Après neuf années passées à Londres, elle n’était toujours pas mariée. Elle n’avait même jamais eu de prétendant sérieux. Elle sortait rarement. À dire vrai, jamais. Elle n’avait aucune prétention intellectuelle, que ce soit en art, en science ou en poésie. Elle ne tenait pas un salon littéraire, ne militait pas pour une cause quelconque. Elle restait chez elle avec ses animaux, ne voyait que ses amies considérées comme des originales et…

Si jolie fût-elle, elle ne correspondait pas au genre de femmes qui lui plaisaient d’ordinaire. Il ne s’intéressait pas aux créatures délicates et capricieuses qui ne connaissaient rien du monde au-delà de Mayfair. Elles étaient semblables à de fragiles porcelaines posées sur une étagère, quand lui était le taureau furieux qui chargeait à travers la boutique.

Il était d’autant plus étrange qu’il ne cesse de penser à elle.