Habiter un lieu effaçable. Non-lieux, non-campements, situés dans le pays mais hors du pays, hors de la géographie politique. Peuplés de non-sujets retenus et rejetés à la fois: un non-peuple. Des non-personnes. Et quand on est une non-personne, on non-dort, on n'a qu'un non-sommeil.
Je pense que je pense que je pense que je pense. Ici, ici, ici, une vis s'enfonce dans mon front...maintenant, -nant, -nant, une scie me débite en morceaux du présent... (...) Pas de brèche où se fuir soi-même: je suis je, et je voudrais tant être une autre, celle qui dort... Délestez-moi de ma conscience, l'atroce conscience de l'insomnie...
Soleil après soleil, lune après lune, l’humanité a poussé. ensuite, tout s’est accéléré. Le temps a débordé l’espace. La vitesse a pris de court la distance. L’urgence a pulvérisé l’horizon. L’insomnie a brûlé la forêt.
« Je n’ai pas dormi de la nuit », disent les dormeurs aux insomniaques, qui ont envie de leur répondre qu’eux ne dorment pas de la vie.
Pas dormir : errer sans ombre.
Autrefois je dormais. Je croyais posséder mon sommeil. Je croyais qu’il me suivait comme mon ombre - qu’il était mon ombre. Le sommeil, croyais-je, est notre moitié. Il est notre moi refuge, notre moi de secours. Il est nous, en notre absence.
Quel fauve a mangé mon sommeil ? Je le traque dans la forêt. J’ai des pistes. Le tueur a laissé des indices.
J’ai perdu le sommeil. Je me suis retournée sur mes pas et il ne me suivait plus. Il s’était détaché de moi, et j’errai sans lui dans la nuit.
Il faut beaucoup aimer la chapelle Sixtine et la pyramide de Khéops et le son de Coltrane et le trait de Shitao et toute la littérature pour continuer donner les hommes
Insomnie et écriture se nourrissent toutes deux d'un fantasme d'élection.