Citations sur Une mémoire pour l'oubli : Le temps : Beyrouth, Le lieu.. (14)
Est ce que j'ai pleuré ? J'ai évacué un flot de sel, le sel de ces sardines, mon unique nourriture depuis des jours. Les avions n'arrivent plus à m'effrayer, pas plus que l'héroïsme ne réussit à m'animer. Je n'aime personne, je ne hais personne, je ne veux personne. je ne sens rien, ni personne. Je suis sans passé ni avenir. Sans racines ni branches. Seul comme cet arbre abandonné sur un rivage ouvert au vent du large où se déchaîne la tempête. Je ne peux plus avoir honte des larmes de ma mère, frémir à la rencontre de deux rêves, nés au même instant, d'une même aube ...
- Je ne sortirais pas car je n'ai nulle part où aller. Je ne sais où aller alors je resterai. Et toi ? ai-je demandé à F.
- Je reste, je suis libanais. C'est ici mon pays, où irais-je ?
J'ai eu honte de ma question, honte que Beyrouth soit devenue à ce point mon poème, le poème des sans-patrie. J'ai eu honte de pensées tellement confuses.
La mer arpente les rues. La mer pend aux fenêtres et aux branches des arbres desséchés. La mer tombe du ciel et entre dans la chambre. Bleu, blanc, écume, vague. Je n'aime pas la mer, je ne veux pas de la mer parce que je ne vois ni rivage, ni colombe. Je ne vois dans la mer que la mer. Je ne vois pas de rivage. Je ne vois pas de colombe.
Personne n'entend la supplication qui s'élève de la fumée : Donnez-moi cinq minutes pour que je mette cette aube, ma petite part d'aube, sur ses deux pieds, pour que je puisse me préparer à entamer cette nouvelle journée, née de lamentations.
« Les obus auraient-ils une descendance ? Nous.
Les éclats auraient-ils une ascendance ? Nous.
Le silence, le silence des spectateurs, s'est mué en ennui. A quand la chute des héros ? A quand le retour aux choses familières ? Tout cela était-il fait à dessein pour que les spectateurs s'ennuient, eux qui n'aspirent qu'à une vie ordinaire, loin des grands idéaux et des mots d'ordre ? » (p. 106)
« Il nous faut savoir ce que nous désirons, me suis-je dit : notre pays, ou l'image de nous-mêmes loin de notre pays, ou bien encore l'image de notre nostalgie pour notre pays à l'intérieur du pays... » (p. 88)
Le vieil ami pakistanais, Fayez Ahmad Fayez, se préoccupait d'une autre question: où sont les peintres?
- quels peintres, mon cher Fayez? lui ai-je demandé.
- les peintres de Beyrouth.
- qu'est-ce que tu leur veux?
- qu'ils peignent cette guerre sur les murs de la ville.
- qu'est-ce qu'il t'arrive? tu ne vois pas qu'il n'y a plus de murs?
" Le café, pour l'amateur que je suis, c'est la clé du jour. Le café, pour le connaisseur que je suis, il faut se le préparer soi-même et ne pas se le faire servir. Car celui qui vous l'apporte y ajoute ses paroles, et le café du matin ne supporte pas le moindre mot. Il est aube vierge et silencieuse. L'aube - mon aube - est étrangère à la moindre parole. L'odeur du café hait le moindre bruit, fût-ce un simple bonjour, et se gâte."
- Pourquoi nous demande-t-on maintenant de reconnaître Israël ?
-Pour votre salut , pour le salut du monde .
-Quand on se noie , on n'a pas envie que le courant soit plus fort . Quand on se brûle , on ne désire pas que les flammes soient attisées . Quand on est pendu , on ne souhaite pas que la corde soit solide .....
Les piètres croisés modernes nous ont coupé l'eau , tandis que Saladin faisait parvenir fruits et glaces à ses ennemis . Peut-être leurs coeurs s'adouciront-ils .... ' , disait-il .