Citations sur L'Origine des espèces (58)
L’étude de la géologie démontre clairement que tous les pays ont subi de grands changements physiques ; nous pouvons donc supposer que les êtres organisés ont dû, à l’état de nature, varier de la même manière qu’ils l’ont fait à l’état domestique.
Tous les individus d’une même espèce et toutes les espèces d’un même genre, même chez les groupes supérieurs, descendent de parents communs ; en conséquence, quelque distants et quelque isolés que soient actuellement les points du globe où on les rencontre, il faut que, dans le cours des générations successives, ces formes parties d’un seul point aient rayonné vers tous les autres. Il nous est souvent impossible de conjecturer même par quels moyens ces migrations ont pu se réaliser. Cependant, comme nous avons lieu de croire que quelques espèces ont conservé la même forme spécifique pendant des périodes très longues, énormément longues même, si on les compte par années, nous ne devons pas attacher trop d’importance à la grande diffusion occasionnelle d’une espèce quelconque ; car, pendant le cours de ces longues périodes, elle a dû toujours trouver des occasions favorables pour effectuer de vastes migrations par des moyens divers.
Je ne songe pas à nier que l’on peut opposer à la théorie de la descendance, modifiée par la variation et par la sélection naturelle, de nombreuses et sérieuses objections que j’ai cherché à exposer dans toute leur force.
Si une variété prend un développement tel que le nombre de ses individus dépasse celui de l’espèce souche, il est certain qu’on regardera la variété comme l’espèce et l’espèce comme la variété. Ou bien il peut se faire encore que la variété supplante et extermine l’espèce souche ; ou bien encore elles peuvent coexister toutes deux et être toutes deux considérées comme des espèces indépendantes. Nous reviendrons, d’ailleurs ; un peu plus loin sur ce sujet. On comprendra, d’après ces remarques, que, selon moi, on a, dans un but de commodité, appliqué arbitrairement le terme espèces à certains individus qui se ressemblent de très près, et que ce terme ne diffère pas essentiellement du terme variété, donné à des formes moins distinctes et plus variables. Il faut ajouter, d’ailleurs, que le terme variété ; comparativement à de simples différences individuelles, est aussi appliqué arbitrairement dans un but de commodité.
Je ne discuterai pas non plus ici les différentes définitions que l’on a données du terme espèce. Aucune de ces définitions n’a complètement satisfait tous les naturalistes, et cependant chacun d’eux sait vaguement ce qu’il veut dire quand il parle d’une espèce. Ordinairement le terme espèce implique l’élément inconnu d’un acte créateur distinct.
Quant à moi, je considère les archives géologiques, selon la métaphore de Lyell, comme une histoire du globe incomplètement conservée, écrite dans un dialecte toujours changeant, et dont nous ne possédons que le dernier volume traitant de deux ou trois pays seulement. Quelques fragments de chapitres de ce volume, et quelques lignes éparses de chaque page sont seuls parvenus jusqu'à nous. Chaque mot de ce langage changeant lentement, plus ou moins différent dans les chapitre successifs, peut représenter les formes qui ont vécu, qui sont ensevelies dans les formations successives, et qui nous paraissent à tort avoir été brusquement introduite.
Il me serait difficile de rappeler au lecteur qui n'est pas familier avec la géologie les faits au moyen desquels on arrive à se faire une vague et faible idée de l'immensité de la durée des âges écoulés.
On peut démontrer ainsi ni la stérilité ni la fécondité ne fournissent aucune distinction certaines entre les espèces et les variétés.
Or, il est tout au moins possible que, dans des milieux différents, de légères modifications de l'instinct puissent être avantageuses à une espèce. Il en résulte que, si on peut démontrer que les instincts varient si peu que ce soit, il n'y a aucune difficulté à admettre que la sélection naturelle puisse conserver et accumuler constamment les variations de l'instinct, aussi longtemps qu'elles sont profitables aux individus.
Pourquoi, dans l'hypothèse de la création, y aurait-il dans de variétés et si peu de nouveautés réelles? Pourquoi toutes les partie, tous les organes de tant d'êtres indépendant, créés, suppose-t-on, séparément pour occuper une place séparée dans la nature, seraient-ils si ordinairement reliés les uns aux autres par une série de gradation? Pourquoi la nature n'aurait-elle pas passée soudainement d'une conformation à une autre. La théorie de la sélection naturelle nous fait comprendre clairement pourquoi il n'en est point ainsi; la sélection naturelle en effet n'agit qu'en profitant de légères variations successives, elle ne peut donc jamais faire de sauts brusques et considérables, elle ne peut avancer que par degrés insignifiants, lents et sûrs.