Citations sur L'oiseau captif (50)
_Et selon vous, à quoi devrait ressembler la poésie, aujourd'hui?
_C'est une question à laquelle vous répondrez par ce que vous écrirez. Par la façon dont vous l'écrirez.
« Pour toi j’écris ce poème
Dans la poussière de l’été desséché
À mi-chemin des présages inquiétants
Dans la vieille tombe du chagrin infini.
C’est la dernière berceuse que je chanterai
Au pied de ton berceau
Pour que dans le ciel de ta jeunesse
Se réverbèrent les cris de ma colère
[…]
À la grève de la bonne réputation, j’ai fait naufrage
En mon cœur gît une étoile orageuse.
L’endroit où s’enflamme ma colère
Est hélas l’espace obscur d’une prison.
J’ai posé mon front douloureux
Contre une porte sombre
J’y frotte mes doigts,
Osseux et froids
Elle n’est guère aisée,
La lutte contre la perfidie
Ma ville et la tienne, mon doux enfant,
Sont depuis longtemps le nid de Satan.
Un jour viendra où tes yeux se brouilleront
À l’écoute de ce chant douloureux.
Tu me chercheras dans mes mots
Et tu te diras : ma mère fut ainsi »
Extrait de
L'Oiseau Captif
Jasmin Darznik
https://books.apple.com/fr/book/loiseau-captif/id1384147262
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- Forough, murmura-t-il, tête posée sur mon nombril, sa joue chaude et non rasée frottant ma peau. Sais-tu ce que cela signifie ?
- Ce que signifie mon nom ? répétai-je en riant.
- Oui.
- Cela veut dire lumière.
Il redressa la tête
- Non, pas lumière. Enfin, pas vraiment, dit-il alors. Cela signifie éclat, ce halo qui entoure la lumière.
Les histoires que l'on raconte ne nous appartiennent pas, dit-il.
Je destinais tout l’argent que je pouvais amasser à l’achat de livres, essentiellement de la poésie persane classique, mais aussi des romans européens du XIXe siècle que lisaient mes frères et leurs camarades. Pouran aimait lire, elle aussi, et pendant un certain temps, nous mettions notre argent de poche en commun pour acheter des livres que nous partagions.
Quand je produisais des vers qui me semblaient particulièrement bons, je puisais dans tout mon courage, les récitais à haute voix, puis attendais, en retenant mon souffle, l’instant où mon père attacherait au moins son regard au mien.
À mesure que je grandissais, les punitions devenaient plus sophistiquées. Elle m’arrachait à ma cachette dans le grenier, m’obligeait à descendre au sous-sol où elle m’enfermait et où les voisins ne pourraient pas m’entendre aussi fort et longtemps que je puisse m’époumoner. Et même s’ils percevaient mes cris, qu’est-ce que ça pouvait faire ? J’étais une fille désobéissante et il lui appartenait de me corriger.
Un djinn. J’aimais ce mot et cela m’excitait de penser qu’un esprit malin vivait en moi. Qui savait s’il n’y avait pas réellement un djinn qui s’agitait dans mon sang ? J’avais à coup sûr du tempérament, et j’étais la première étonnée de ma force de caractère. Mes habits étaient constamment maculés d’encre, de peinture ou de terre. Quand j’étais en colère, je tirais sur les nattes de Pouran jusqu’à ce que des larmes roulent sur ses joues, je donnais des coups de pied dans les tibias de mes frères, courais dans les couloirs et dégringolais les marches de l’escalier.
On apprenait à une fille iranienne à se tenir tranquille et à être docile, or, dès ma plus tendre enfance, j’étais entêtée, bruyante et effrontée. Une bonne fille iranienne devait être pieuse, modeste et soignée ; j’étais impulsive, raisonneuse, et désordonnée. Je me considérais l’égale de mes frères, avec l’esprit et l’audace qu’il fallait pour répondre aux leurs.
Les deux femmes échangèrent un regard. Ce regard, je devais ne jamais l’oublier, tout comme la peur que j’éprouvai alors, mais avant que mes pieds n’aient touché le sol, la plus jeune s’était déjà avancée vers moi. Elle était mince et élancée comme un roseau, mais dotée d’une poigne étonnamment vigoureuse.