Volume 2
La Tour, aussi avisé en affaires qu'habile homme en peinture, exploitait cette vogue et demandait pour ses portraits des sommes très élevées. Sans être avare — car il donna maintes preuves de générosité, — il avait une haute opinion de son talent et bien souvent ses prétentions furent à ce point exorbitantes que ses modèles lui laissèrent pour compte ses portraits plutôt que de payer les sommes excessives qu'il réclamait. Nous l'avons vu exigeant quarante-huit mille livres pour le portrait de Mlle de Pompadour ; nous le retrouvons, à toutes les époques de sa vie, bataillant pour le règlement de ses portraits, par exemple pour ceux de Mesdames dont il réclame des prix exagérés.
David le savait bien, lui qui avait travaillé plus que tout autre à réagir contre cet art. Un jour qu'il entendait certains de ses élèves tourner en dérision le peintre des Bergeries et des Boudoirs, il alla vers eux, fort en colère,et leur cria : « N'est pas Boucher qui veut ! » On peut en croire David ; il était bon juge. Boucher est resté inimitable dans un genre qu'il a créé et dont aucun peintre après lui n'a pu retrouver le secret. Ses élèves s'évertuèrent à le continuer, et n'y réussirent point.Sous leur pinceau, l'habileté du maître devint du procédé, sa grâce de l'afféterie, son tour galant de la fadeur.
BOUCHER, affirme le Nécrologe de 1771, possédait à un degré supérieur toutes les grandes parties de l'art de la peinture et il eût pu s'essayer et se distinguer dans tous les genres ; mais né sensible, aimable et voluptueux, il se vit presque toujours entraîné vers les Grâces dont il fut généralement appelé le peintre. » Sensible, aimable et voluptueux : en ces trois termes se résume la physionomie du XVIIIe siècle tout entier, avec son élégance spirituelle et son dévergondage raffiné; dans ces trois mots également s'enferme tout l'art de Boucher, peintre des fêtes galantes et des mythologies gracieuses.
Peintre, Corrège le fut dans l'acception la plus étendue et la plus élevée de ce terme. Il est de ces artistes dont la gloire rayonne souverainement et ne connaît pas de détracteurs, car il possède au suprême degré tous les dons du génie : une originalité charmante, une grâce ineffable, une palette d'un coloris magique et une science qui le classe, avec Michel-Ange, comme le premier dessinateur du monde.