Citations sur Cent vues du Mont Fuji (58)
J'ai finalement décidé, toutes les fois que je croisais un chien, d'arborer un grand sourire, pour bien lui signifier que je n'avais nulle intention de lui faire du mal. Et le soir, comme mon sourire ne se voyait peut-être pas, je fredonnais innocemment des berceuses, pour montrer que j'étais un humain tout à fait bienveillant. J'ai l'impression que cette stratégie a plus ou moins porté ses fruits. Aucun chien ne m'a encore sauté dessus.... .. Ma propre lâcheté me dégoûte....
Dans mon impuissance à analyser la psychologie canine, et préoccupé comme je l'étais de me concilier les bonnes grâces de tous les chiens que je croisais sur mon chemin - sans penser aux conséquences de mes actes -, je suis arrivé à un résultat qui m'a surpris : ils se sont mis à m'aimer
Je levai mes yeux vers le Fuji comme pour lui signifier ma requête : "Prends soin de ces êtres !" Il était là, immobile dans l'air glacial ; je croyais voir dressé devant moi une sorte d'aïeul fier et sûr de lui, debout en robe de chambre, les bras croisés.
Extrait de "Cent vues du Mont Fuji"
Ce soir-là, je l'avais bien compris : je n'étais pas fait pour réussir dans le monde. Autant y renoncer. Autant faire son deuil de ce rêve d'un "retour triomphal". Je devais rester serein, et bien me dire, sans me laisser déborder par l'émotion : "Chacun doit garder la place que le sort lui assigne : cultiver son jardin." Toute ma vie, peut-être, je serais un musicien des rues. Eh bien, que ma petite musique toute bête, que je m'obstinais à jouer, profitât à qui voulait l'entendre ! L'art n'a pas à exercer d'autorité. Quand l'art acquiert une quelconque autorité, il meurt.
Extrait de "Il y a tout de même une Providence..."
Mais petit à petit, je sortis de ma léthargie. Je rédigeai mon "testament" : Souvenirs, un texte de cent pages. Officiellement, ma première oeuvre. Je voulais, sans rien embellir, raconter tout le mal que j'avais commis depuis mon enfance. C'était à l'automne, j'avais vingt-quatre ans. Je restais assis chez moi, à contempler le jardin envahi d'herbes folles ─ et sans la moindre envie de sourire. A nouveau, je voulais mourir. "Affectation", que toute mon attitude ? Soit. Je croyais vraiment à mon personnage. Pour moi, la vie était un drame. Ou plutôt, le drame était la vie même. Je ne servais plus à personne. Mon unique bien, H., portait une souillure. Rien, non, rien ne me donnait envie de vivre. Comme si j'eusse appartenu à un peuple promis à l'extermination, je me sentais voué au néant et je m'y étais résigné. Le rôle que m'avait assigné l'époque, je devais le jouer fidèlement : rôle triste et sans dignité de l'éternel perdant.
Extrait de "Huit tableaux de Tôkyô"
Devant la vie, je n'ai pas à me comporter en accusateur ni en juge. Je n'ai pas qualité pour condamner mes semblables. Je suis un enfant du mal. Je suis maudit. J'ai commis sans doute cinquante ou cent fois plus de péchés que vous. C'est un fait : à l'heure présente encore, je suis en train de faire le mal. J'ai beau être vigilant, c'est peine perdue.
Lecteur, écoute-moi : si tu es avec ta bien-aimée et qu'elle éclate de rire, tu peux t'en féliciter. Ne le lui reproche surtout pas : la signification de ce rire, c'est tout simplement qu'avec toi, elle se sent parfaitement en confiance et que ce sentiment la submerge.
Extrait de "Cent vues du mont Fuji"
"Il fait de plus en plus peuple, lui, ces temps-ci !"
Voilà le genre de bêtises que l'on peut proférer sur mon compte ─ et que la brise apporte parfois jusqu'à mon oreille. Et chaque fois, je réponds en moi-même, avec une violence passionnée : "Depuis le début, j'étais peuple ! Vous ne vous en étiez pas aperçus ? Vous n'aviez donc rien compris !" Quand j'ai décidé de consacrer ma vie à la littérature, les imbéciles me prenaient pour une mauviette. Je ne pouvais qu'en sourire. Jouer ad vitam aeternam le rôle du jeune premier, cela ne se voit qu'au théâtre ─ pas en littérature.
Extrait de "Huit tableaux de Tôkyô"
Immobile, je pleurais. J'eus l'agréable sensation que mes larmes faisaient fondre cette frénétique raideur qui m'habitait.
Oui, j'avais perdu - et tant mieux : il le fallait. La victoire de ces êtres illuminera la route que je suivrai demain.
Une femme qui travaillait dans un bar derrière Ginza tomba amoureuse de moi. Il y a dans la vie de tout homme une période au cours de laquelle il peut "plaire" ; période impure, s'il en est...J'invitai cette femme à venir se noyer avec moi à Kamakura. "Quand on a échoué, pensais-je, l'heure est venue de mourir."
Extrait de "Huit tableaux de Tôkyô"
Les souvenirs sont autant de sombres fleurs qu'emporte une danse allègre et qui se dérobent à toute classification.
Extrait de "Huit tableaux de Tôkyô"