Citations sur Pays natal (Retour à Tsugaru) (16)
Le dégoût de moi-même m'envahit quand j'ai trop bu-des milliers de fois, sans doute-, mais je ne peux toujours pas renoncer à l'alcool. La bouteille, c'est mon point faible, et très souvent, cela m'a valu le mépris des gens. Si le saké n'existait pas j'aurais pu -qui sait ?-être un saint...
J'ai dit beaucoup de mal de Hirosaki, mais non par antipathie pour cette ville ; disons que c'est pour moi une manière d'introspection. Je suis un enfant de Tsugaru. Mes ancêtres génération après génération, étaient des paysans du fief. je puis dire que je suis un pur produit de la région. C'est bien ce qui m'a donné toute licence pour critiquer vertement Tsugaru comme je l'ai fait. Mais que des "étrangers" , pour m'avoir entendu parler de la sorte, aillent se croire tout permis et se mettent à regarder Tsugaru de haut, et j'en serai tout de même fort mécontent. Parce que j'ai beau dire, j'aime Tsugaru.
Si la politique d'aménagement urbain manque à ce point de dynamisme, ne peut-on pas l'attribuer aux machinations louches de vieux politiciens bornés ? C'est ce que j'ai demandé à N., mais avec un sourire forcé, le jeune conseiller municipal qu'il était m'a répondu : "N'épiloguons pas." Non plus qu'un samouraï ne doit se risquer dans les affaires, un homme de lettres n'a à se mêler de politique. Mon insolente question sur la façon dont Kanita était administrée a provoqué le sourire apitoyé d'un politicien expérimenté : et je me suis senti tout bête.
Là, c'est la pointe extrême de Honshù. Après ce village, il n'y a plus de route. Au-delà, on tombe dans la mer, c'est tout. Le chemin s'arrête à cet endroit. C'est le cul-de-sac du Honshù. Prends-en bien note, lecteur : si tu marches vers le nord, toujours vers le nord, sans relâche, infailliblement tu atteindras la route de Sotogahama. La voie ira se rétrécissant, mais si tu continues d'aller vers le nord, tu aboutiras dans ce monde étrange, dans cette "basse-cour". Ce sera, lecteur, le point ultime de ton itinéraire.
Et les adultes sont des gens sans gaieté. Même lorsque l'on s'aime, il faut être prudent et garder une certaine distance. Et pourquoi cette prudence ? La réponse est toute simple : trop souvent, il arrive que l'on soit victime d'une splendide trahison, et que cela fasse honte. Les êtres humains ne sont pas dignes de confiance : cette découverte est la première leçon qui marque le passage de l'adolescence à l'âge adulte. Un "adulte", c'est un adolescent qui a été trahi.
« Et d'abord, pourquoi ce voyage ?
— Parce que je souffre...
— "Tu souffres"... Toujours la même rengaine !
Ne crois pas t'en tirer à si bon compte !
— Masaoka Shiki, trente-six ans ; Ozaki Kôyô, trente-sept ans ; Saitô Ryoku'u, trente-huit ans ; Kunikida Doppo, trente-huit ans ; Nagatsuka Takashi, trente-septe ans ; Akutagawa Ryûnosuke, trente-six ans ; Kamakura Isota, trente-sept ans...
— Et alors ?
— C'est l'âge auquel ils sont morts. Les uns après les autres. Moi aussi, j'aurai bientôt atteint cet âge : étape décisive dans la vie d'un écrivain !
— Et... on souffre...?
— Arrête. Ne te moque pas de moi ! J'imagine que tu me comprends tout de même un peu. Je n'ai pas envie d'en dire plus : j'aurai l'air de chercher à me rendre intéressant. Allons, ce voyage, je vais le faire ! »
Est-ce parce que j'ai suffisamment vécu ? Je crois que s'expliquer sur ses sentiments, c'est vouloir se rendre intéressant – et dans la plupart des cas, cela relève d'un artifice littéraire assez banal. Je n'ai pas envie d'en dire plus.
A Kanagi, je ne suis pas à l'aise. Et je ne devrais pas me mettre ensuite à l'écrire... Quand un homme, poussé par un mauvais destin, se met à écrire sur sa famille et à vendre ensuite ses textes pour en vivre, le Ciel le punit en le privant de son pays natal.
Un "paysage", cela se forme au fil des années, cela s'observe, se décrit, c'est le regard humain qui, si je puis dire, le "lèche et l'adoucit. Un paysage, c'est quelque chose d'apprivoisé. Même les chutes de Kegon, avec leurs cent mètres de haut, sont comme un fauve en cage : on sent en elles, plus ou moins la présence de l'homme. Dans tous les sites inhospitaliers qui ont servi de thème à des tableaux, à des poèmes, à des haïkus, dans tous, sans exception, on décèle le regard humain.
Est-ce l'âge qui m'a enseigné la retenue ? ou bien... non, je ne voudrais pas me lancer dans des explications compliquées pour parler de mes sentiments. Après tout, nous étions, lui et moi, des adultes. (...) Un "adulte", c'est un adolescent qui a été trahi.
Au bout de deux heures de marche à peu près, le cadre qui nous entourait, bizarrement, est devenu terrible - on aurait pu dire "effrayant". Ce n'était plus un paysage. Un "paysage", cela se forme au fil des années, cela s'observe, se décrit, c'est le regard humain qui, si je puis dire, le "lèche" et l'adoucit. Un paysage, c'est quelque chose d'apprivoisé. Même les chutes de Kegon, avec leur cent mètres de haut, sont comme un fauve en cage ; on sent en elles, plus ou moins la présence de l'homme.