C'est le mois de novembre, l'homme entend tomber le rideau métallique de l'hiver. Dans les nuits où le vent arrache les arbres les plus exposés à leurs racines, la pierre et le bois de la cabane se frottent entre eux et lancent une plainte. Le feu fait craquer des baisers de réconfort. L'âpreté extérieur donne des coups d'épaule, mais la flamme allumée garde unis le bois et la pierre. Tant qu'elle brille dans le noir, la pièce est une forteresse. Et l'harmonica est là aussi pour dominer le bruit de la tempête.
A une époque, il avait partagé la montagne avec un ours. Ils se rencontraient souvent et s'arrêtaient à quelques pas de distance. L'ours flairait l'homme, l'homme regardait par terre, de côté, en haut. L'ours mangeait les viscères des bêtes abattues. L'ours et sa fourrure étaient bons à vendre, mais on ne tue pas un spécimen unique. Puis l'animal était mort de vieillesse, il avait trouvé sa carcasse dans un bois du versant nord et il l'avait enterrée.
Ce jour de novembre et de fatigue, le roi flaira la neige toute proche, derrière la courbe rapide du jour de soleil. Il flaira la neige amie qui pousserait son espèce à se pelotonner dans les tanières de glace. Le soleil faisait son tour d'adieu sur les hauts pâturages, le troupeau de chamois était nerveux. Il avait flairé l'homme, puis l'avait perdu. Les mâles ne broutaient pas, ils bondissaient dans des courses saccadées pour voler une odeur à l'air immobile. Ils soufflaient leur respiration comprimée dans un sifflement. On aurait dit de brefs défis interrompus, sans victoire, qui ne leur appartenaient pas.
L'espèce humaine est dotée de bien peu de sens. Elle les améliore grâce à au résumé de l'intelligence. Le cerveau de l'homme est un ruminant, il remâche les informations des sens, les combine en probabilités. L'homme est ainsi capable de préméditer le temps, de le projeter. C'est aussi sa damnation, car il en retire la certitude de mourir.
Dans chaque espèce, ce sont les solitaires qui tentent de nouvelles expériences. Ils forment un quota expérimental qui va à la dérive. Derrière eux, se referme la trace ouverte (p. 31).
Sa vie au gré des saisons était allée avec le monde. Il l'avait gagnée tant de fois, mais elle ne lui appartenait pas. Il fallait la rendre, froissée après avoir été utilisée. Quel était ce créancier indulgent qui la lui avait prêtée neuve et la reprenait usée, à jeter.
Ils n'étaient pas courageux, ils étaient nombreux, valeur qui donne de la force aux plus faibles.
"La solitude est un blanc d’œuf, la meilleure partie. Pour l'écriture, c'est une protéine."
[nouvelle "Visite à un arbre"]
Le présent est la seule connaissance qui est utile. L'homme ne sait pas vivre dans le présent.
Sur la corne ensanglantée du vainqueur se posèrent des papillons blancs. L'un d'eux y resta pour toujours, pour des générations de papillons, pétale battant au vent sur la tête du roi des chamois durant les saisons d'avril à novembre.