L'autre livre de Günter de Bruyn traduit en français mettait déjà à l'honneur la ville de Berlin, mais ce n'est plus à une fiction qu'elle sert de cadre ici : dans cette nouvelle oeuvre de lui en français, l'auteur raconte cette fois sa propre existence, qui correspond à une époque de rapides changements politiques en Allemagne (République de Weimar, hitlérisme, effondrement du Reich et naissance des RDA/RFA).
On suit pas à pas un jeune écolier qui découvre peu à peu tout un monde que nous connaissons aujourd'hui mieux que lui... Mais qu'il finit en fait par nous faire découvrir de l'intérieur en nous livrant un témoignage littéralement inédit.
Sur un rythme léger, la traduction offre un survol bien dégagé de ce récit touffu où se mêlent allusions et citations empruntées aux grands textes de la littérature allemande. Une autobiographie prenant la forme originale d'un roman d'apprentissage à la première personne. Étonnant que ce classique du 20e siècle soit seulement « libéré » pour le public français. À lire absolument avant d'aller à Berlin en tout cas.
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Même sans avoir jamais eu affaire à eux, je savais que les Waffen-SS faisaient la guerre en recourant à des méthodes particulièrement brutales. Dans la Wehrmacht, on en parlait officieusement, en affichant distance ou dégoût. Mais je n’avais encore jamais entendu parler (peut-être parce que je n’avais jamais posé de question à leur sujet ?) de l’exécution de juifs. Même sous forme de simple allusion. Dans la période qui suivit leur déportation, je ne parviens pas à me souvenir d’avoir jamais pensé à eux ou d’avoir jamais parlé d’eux, que ce soit avec des gens de mon âge ou avec des adultes. Chez ceux qui n’avaient pas de connaissances parmi eux, sitôt qu’ils étaient loin des yeux… Ils avaient tôt fait de sortir de la tête. À moins que l’on ne gardât ses pensées pour soi – car montrer de la pitié ou, a fortiori, de la sympathie, pouvait être dangereux.
Chez moi, l’écroulement du Reich ne faisait
pas du tout naître de sentiment de fin du monde. La sensation
de faire partie des vaincus ? Je n’arrivais pas à la développer
au fond de moi. Au contraire, j’éprouvais de la pitié pour les
vainqueurs, qui devraient probablement porter encore longtemps
casque et fusil. Au départ de l’hôpital militaire, je me
sentis délivré de toute attache pesant sur ma personne. J’avais
survécu à cet État qui avait jusque-là tracé mon destin. Je me
trouvais désormais en dehors de toute structure organisée, ne
ressentant plus de devoir qu’envers moi-même et mes propres
aspirations.